Profane

Mystères, sorcellerie, blasphème, n’est-ce pas ce que nous évoque le mot profane ? Pourtant, est-ce vraiment sa véritable signification ? Il semble que la notion de profane ne soit pas bien comprise c’est pour cela qu’il est important de l’éclaircir. De plus, la plupart du contenu (musique, œuvres d’art …) que nous consommons dans la société actuelle est profane. Dès lors, il semble important de s’avoir en quoi il l’est.

Le mot profane introduit les  notions de religion et de sacré ainsi que leurs limites. Cela permet de développer des arguments pour une éventuelle dissertation. En effet, la notion de profane permet d’introduire une absence de religion.

Étymologie

Profane vient du latin profanus de pro «devant» et fanum «lieu consacré, temple». Cela signifie donc “ce qui est devant le temple” soit “ce qui n’est pas sacré, consacré” car ce n’est pas dans un lieu sacré.

Définitions

  • Qui est dépourvu de caractère religieux, sacré ; qui a trait au domaine humain, temporel, terrestre. Qui porte atteinte au caractère sacré de quelque chose ; impie, sacrilège (vieilli). Personne qui n’a pas de religion ou est étrangère à la religion considérée. Qui n’est pas initié à quelque chose (un art, une science, une technique, certains usages). (cnrtl)
  • terme opposé à “Saint et Sacré”, hors l’Eglise et les cimetières tous les autres lieux sont profanes. Se dit aussi de celui qui raille les mystères de la religion, qui est indigne d’être admis dans les cérémonies sacrées. Se dit aussi des ignorants ou des ceux qu’on méprise assez pour ne leur vouloir pas découvrir les secrets d’un art, dont ils raillent, parce qu’ils n’en connaissent pas les principes. (dictionnaire le Furetière)
  • Qui est étranger à la religion (opposé à religieux, sacré).  Personne qui n’est pas initiée à une religion. Qui n’est pas initié à un art, une science, un domaine. (lerobert.com)

Les trois définitions posent l’opposition du terme profane à ce qui est sacré et donc à toute forme de religion. De plus, elles introduisent aussi le fait que l’on peut être profane dans des domaines autres que la religion dès que l’on ne connait rien à un domaine. Par exemple, nous étions tous des profanes en philosophie au début de cette année. À cause de l’époque pendant laquelle il a été écrit, Le Furetière pose ici une religion comme modèle : le christianisme. Ce qui est profane est donc tout ce qui n’a pas trait à la religion chrétienne tandis que dans les deux autres définitions, ce qui est profane est ce qui n’appartient à aucune religion en particulier.  Dans les définitions du Furetière et du CNRTL on introduit aussi la notion d’impie c’est-à-dire de violation d’une religion.

 

Synonymes

  •  laïc : Qui ne fait pas partie du clergé. Indépendant des religions, des confessions religieuses (lerobert.com).
  • ignorant : Qui ne connaît pas (ou très peu) quelque chose, parce qu’il ne l’a pas étudié, pratiqué, expérimenté (cnrtl).

Le terme “laïc” est relatif aux religions ; il fait référence à l’absence de religion ce qui correspond à une des significations de profane.  “Ignorant” renvoie quant à lui  à l’absence de connaissance dans un domaine précis qui peut être la religion mais aussi la philosophie par exemple. “Ignorant” ne renvoie donc pas forcément à l’absence de religion comme “laïc”. Le mot “ignorant” a aussi une connotation négative tandis que “laïc parait plus neutre. D’après ces deux définitions, on pourrait penser qu’un laïc choisit de ne pas avoir de religion tandis que l’ignorant ne le fait pas volontairement : il lui manque seulement le savoir nécessaire.

Antonymes

  •   sacré : Qui appartient à un domaine interdit et inviolable et fait l’objet d’une vénération religieuse (lerobert.com).
  •   divin : Qui appartient à Dieu, aux dieux, considéré comme révélé par Dieu aux hommes (lerobert.com).

Citation :

“Ce n’est pas en lui mettant de l’herbe sous le nez que les moutons montrent au berger qu’ils ont bien mangé ; c’est à leur laine qu’on s’en aperçoit, après qu’ils ont digéré leur nourriture ; eh bien, fais de même : ne va pas mettre sous le nez des profanes les principes de la philosophie, fais-leur voir les effets quand tu les as digérés.”

Manuel, Épictète (trad. Myrto Gondicas)

Les profanes renvoient ici aux individus ne connaissant rien à la philosophie. “Les” renvoie aux principes de la philosophie. Ici, la notion de digestion renvoie à l’intégration de ces idées, à leur compréhension  et appropriation complète. La métaphore  de la laine  évoque une digestion de l’herbe pour en faire quelque chose d’utile : de la bonne laine qui pourra être utilisée par la suite. Il en va de même avec les idées philosophiques : il faut bien les intégrer et les comprendre pour pouvoir les utiliser ensuite.

De même que la qualité de laine des moutons est meilleure quand ils ont bien mangé, la réflexion d’un individu est meilleure quand il a compris les fondements de la philosophie. L’image de moutons donnant de l’herbe à leur berger est comique et permet de comprendre que ce n’est pas la bonne manière de procéder pour faire découvrir une idée. Cela dépeint aussi une volonté d’Épictète d’éduquer par la réflexion. En effet, ne pas mettre les principes philosophiques sous le nez des ignorants implique de ne pas forcer le savoir dans le cerveau des profanes. De plus, en leur faisant remarquer les bienfaits de la philosophie, les ignorants vont vouloir avoir accès à ces mêmes bienfaits. Ils vont donc se demander ce qu’est la philosophie, comment l’étudier. Ils vont donc choisir eux-même d’être éduqués aux principes philosophiques et réfléchir à ce qu’est la philosophie par eux-même. De cette manière, l’apprentissage par force est  retiré.

Ainsi, l’idée défendue ici est de laisser les novices s’approprier les fondements de la philosophie pour qu’ils en retirent les meilleurs bénéfices par eux-même.

Illustration

Fichier:Georges Croegaert Private Indulgence.jpeg — Wikipédia

La peinture Indulgence privée a été réalisée par l’artiste Georges Croegaert (1848-1923).

On peut voir sur le tableau un cardinal, reconnaissable à sa soutane rouge et à sa calotte rouge qui le démarque du décor. On remarque que la plupart des éléments du tableau sont horizontaux, notamment les meubles, ce qui fait ressortir le cardinal qui est à la verticale. Le cardinal est ainsi présenté comme l’élément principal de la toile. Il presse un citron au-dessus d’une huitre. Le cardinal semble satisfait à l’idée de manger cette huître. En effet, toute son attention est concentrée sur l’huître et il ouvre déjà la bouche dans une mimique entre le sourire d’un bienheureux et la bouche grande ouverte d’un gourmand. Le fait que le tapis soit comme replié sur le bord du tableau et que la peinture soit si réaliste nous donne l’impression d’assister à la scène en direct, comme si nous pouvions entrer dans la pièce et goûter nous-même les huîtres.  On peut remarquer une corbeille de fruits, du pain ainsi qu’une carafe de vin sur la table. On peut donc penser que le cardinal aime indéniablement manger surtout qu’il n’a pas l’air de vouloir partager la nourriture avec son chien qui semble intéressé. De plus, on voit qu’il a les pieds sur un coussin et la pièce où il se trouve semble très luxueuse. Pourtant, la gourmandise, l’orgueil, la paresse et l’avarice ne sont-ils pas des péchés capitaux ? Dès lors, le cardinal ne devrait-il pas être le premier à éviter ces péchés ? Pourtant, il cède : à la gourmandise en mangeant ses huitres ; à l’avarice en gardant toutes les richesses visibles dans la pièce pour lui ; à la paresse en prenant le temps de déguster son repas au lieu d’effectuer des actions plus utiles ; à l’orgueil car le coussin sous ses pieds témoigne d’une haute estime de soi.  Cette œuvre semble donc railler l’Église et les travers des hommes d’Église. La moquerie est amplifiée par la tapisserie qui représente de la nourriture comme des grappes de raisin : le cardinal ne pense qu’à la nourriture. En outre, il y a un écureuil qui semble déguster sa noisette. Cet écureuil nous rappelle le cardinal et son attitude face à l’huître. Dans cette mesure, c’est donc une œuvre profane, qui s’oppose à l’art religieux. Elle illustre aussi parfaitement le profane parce qu’elle montre les actes non sacrés qui peuvent être effectués par un homme d’Église .

Interprétation

Selon le pouvoir d’évocation des mots des Symbolistes, profane peut évoquer une fleur qui fane avec le radical “fane”. Cela évoquerait alors un être qui dépérit ou qui se renferme sur lui-même. Ainsi, le profane évoquerait ici une sorte de fermeture d’esprit ou bien un mal qui nous porterait préjudice. En effet, si l’on est novice en tout, si l’on ne sait rien, alors on ne peut pas mener une vie correcte car on ne peut pas se débrouiller seul. On ne sait pas non plus ce qu’est vraiment la vie puisqu’on ne sait rien des arts et des sciences tels que la biologie, la philosophie qui tente de percer les mystères de la vie. Cela est renforcé par le préfixe “pro” qui semble agressif : cette agressivité renvoie au terme impie qui peut être associé à profane. Le profane serait donc quelque chose de négatif.

Commençons par étudier le sens de profane qui signifie impie. Lorsqu’on pense au terme “profane”, la première définition qui peut venir à l’esprit est celle qui correspond à la transgression d’une religion, à un impie. Ainsi des images de chasse aux sorcières ou de découvertes scientifiques comme celles de Galilée qui transgressent les dogmes religieux sont immédiatement associées au profane. Cela correspondrait donc à ce qu’évoquent les sonorités de ce terme. Le profane en tant qu’impie peut aussi évoquer une certaine rébellion. En effet, beaucoup de dirigeants se sont révoltés contre le Vatican pour créer leur propre doctrine alors même que les chrétiens catholiques étaient majoritaires. On peut notamment penser à Henri VIII. Cette rébellion pourrait apporter de l’adrénaline, un sentiment de satisfaction. En effet, s’opposer à l’ordre établi, aux règles permet parfois de se sentir vivant. Cependant, cela signifie que l’on ne sait pas se satisfaire de ce que l’on a ou que l’on ne sait pas trouver le bonheur sans créer de troubles (Descartes, “Changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde”). Ainsi, le sens d’impie serait plutôt négatif. Néanmoins, ce n’est pas le sens premier de profane.

Cependant, profane peut aussi signifier “qui ne sait pas”. Ici, le profane serait “devant le temple” mais ce temple ne serait pas un temple religieux mais un temple “de la connaissance”. Dans ce cas, la notion de profane est ambivalente. En effet, le fait de ne pas connaître un domaine permet parfois d’introduire une certaine neutralité ainsi qu’un point de vue différent. Par exemple, lors des assises n’y a-t-il pas des jurés, complètement novices dans le domaine de la justice et souvent exerçant une profession différente de l’incriminé, pour juger un criminel ?  Néanmoins, la neutralité et le fait de ne pas connaître  ne peuvent-ils pas cacher un certain désintérêt ? Or le désintérêt ne pourrait-il pas lui-même  cacher une forme de mépris ? Pourtant, n’est-il pas utile de s’intéresser à tout ce qui peut exister, ne serait-ce que pour agrandir sa culture personnelle ? De plus, il peut se révéler dangereux de ne pas s’intéresser à certains domaines ou à certains groupes car cela laisse place à la dérive. Ainsi, il faudrait éviter d’être un profane dans quelque domaine qu’il soit même si c’est en pratique impossible.

Enfin, retournons au sens premier de profane, celui de son étymologie : qui s’oppose au sacré. Tout ce qui ne serait pas religieux serait donc profane. Ainsi, la plupart de ce qui nous entoure aujourd’hui serait profane. Cependant, la réalité était bien différente auparavant. En effet, la religion était omniprésente et l’ensemble de la vie des croyants était organisée autour. Pourtant, tout n’était pas religieux ce qui implique une séparation de la vie en deux : vie religieuse et vie profane. Le passage entre ces deux phases devaient néanmoins être ténu et parfois difficile. En effet, le profane est le contraire du sacré mais il est commandé par le divin. C’est effectivement la sphère religieuse qui décide ce qui est sacré et donc par opposition, ce qui ne l’est pas. Ainsi, le sacré et le profane ne sont pas seulement opposés mais complémentaires. Pour la population, qui devaient avoir des objets sacrés (crucifix, Bible…) chez elle, comment faire la différence entre lieu sacré et lieu profane ? Comment faire la différence quand dans un même repas on prononce le bénédicité avant de manger puis que l’on chante des chansons profanes ? La différence entre profane et sacré est donc difficile à faire pour le peuple. Néanmoins, ce mélange ne pose-t-il pas problème ? En mélangeant sacré et profane, n’enlève-t-on pas le caractère sacré de certains rituels ou objets ? Dès lors, la religion ne perdrait – elle  pas un peu de son pouvoir ? Ne devient-elle pas un élément quelconque du quotidien ? On peut ainsi comprendre pourquoi le besoin d’imposer la religion et de différencier profane et sacré est si fort à cette époque : cela permet à l’Église de garder le pouvoir. En effet, plus on impose la religion, moins on ne laisse de place à d’autres activités profanes et plus la religion et le sacré sont forts et différenciés du profane.

 

Enora Baron

Une réflexion sur « Profane »

  1. Evitez de commencer par “depuis quelques années” : imprécis. Vous pourriez partir de la date de la loi ? L’amorce en général me dérange : devient-on profane ? Des confusions.

    Impeccable en revanche pour l’étymologie, les définitions et leurs comparaisons, les synonymes et antonymes. Très précis et intéressant.

    Citation très bien choisie. Je pense cependant que le StoIcien évoque le fait de s’approprier les idées philosophiques : la métaphore “en faire de la laine” suppose une ingestion des idées, une rumination, et une transformation, pour en faire quelque chose d’autre (non plus de l’herbe, mais de la laine, qui nous chauffera, qui servira à faire des habits, etc., qui sera utile, en somme).

    L’illustration est-elle d’un photographe connu ? De quand date cette photo ? Elle semble en effet satirique. Vous pouvez l’analyser un peu plus précisément (lignes de force, expressions du visage…). Est-ce un acteur qui joue un cardinal ?

    L’argumentaire est percutant et je vous conseille notamment de conserver le 1er paragraphe, sur les sonorités du mot : c’est très intéressant et bien vu ! Mais la suite me pose problème, comme l’amorce. En fait, le profane, excepté dans le sens étendu de “qui ne connaît pas”, sert d’opposé au “sacré”. On dit toujours “le profane et le sacré”, pour désigner les deux versants d’une société. Je dirais que le profane concerne tout ce qui n’est pas sacré, dans une société théocratique comme celle qui était la nôtre il y a quelques siècles : on oppose par exemple les chants d’église, le grégorien, dit “sacré”, aux chansons à boire, dites “profanes”… Il y aurait quelque chose à travailler autour de cette complémentarité, avec des frontières entre les deux qui sont parfois assez poreuses : si le clergé veut absolument faire la distinction entre les deux, le peuple, quant à lui, a tendance à mélanger profane et sacré. Je sais par exemple qu’il y a eu un scandale au XVIIè car des prêtres, pour attirer à la messe, se sont mis à reprendre des chants profanes (parfois très grivois) pour y mettre des paroles de la Bible… et ça a donné des mélanges assez étranges ! Le profane indique ainsi une autre dimension sociale, dans une société structurée autour du religieux (ce qui n’est pas le cas de la nôtre ; je vous conseille donc davantage de décentrement).

    Bon travail ! 🙂

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