Quand on m’a demandé de choisir un mot pour écrire mon article philosophique, je ne savais vraiment pas quoi prendre. Plein d’idées me traverseraient l’esprit et une multitude de mots me venaient en tête sans qu’un seul ne se démarque des autres : c’était un véritable chaos !

C’est alors que j’eus une illumination : le chaos est un mot souvent utilisé pour désigner le désordre et la confusion. Mais savons-nous réellement de quoi il retourne ?

J’ai alors décidé d’étudier ce mot bien trop méconnu pour désépaissir l’aura mystérieuse qui l’entoure. En effet, je trouve dommage qu’un terme aussi couramment employé ne soit connu qu’en surface et que beaucoup ignorent son origine et ses nombreuses significations.

 

Étymologie

 

Le mot chaos a pour étymologie le terme latin chaos qui vient du grec Χάος/Kháos, signifiant “ouverture”, “abîme” et désignant le premier état de l’univers. En effet, le chaos représente en mythologie grecque une profondeur béante avant l’apparition des dieux Éros, Gaïa, Tartare, Érèbe et Nyx : cela explique son origine dans le mot “abîme”.

 

définition

 

A – Espace immense indifférencié préexistant à toutes choses, et notamment à la lumière. (CNRTL – TLFi, 1994)

B – Désordre de l’univers, avant la Création. (CNRTL – Dictionnaire du Moyen Français, 1330-1500)

C – Ensemble de choses sens dessus dessous et donnant l’image de la destruction, de la ruine, du désordre. (Dictionnaire Larousse, 1960)

D – Entassement naturel et désordonné de blocs, de rochers. (Dictionnaire Le Petit Robert, 1967)

 

Les définitions A et B relèvent du domaine de la cosmogonie (théorie expliquant la formation de l’univers) et de la théologie tandis que la définition C définit le sens de chaos le plus couramment utilisé. Quant à la définition D, elle appartient au domaine de la géographie physique. On peut constater que les deux dernières définitions donnent un sens plus concret au mot chaos alors que les deux premières relèvent de la croyance et de la religion.

Celles-ci nous indiquent que selon certaines croyances, notamment la mythologie grecque, le chaos désigne le désordre précédant l’intervention de Dieu ou des dieux. Paradoxalement, Chaos (aussi appelé Abime) serait une divinité primordiale à l’origine de toutes les déités grecques, caractérisée par un gouffre sans fond s’opposant à la Terre (qui permet la stabilité) et par un milieu où l’orientation est impossible et où l’on chute dans tous les sens.

Ce terme est par la suite devenu un nom commun à caractère plutôt péjoratif utilisé pour désigner ce qui est désordonné et confus.

 

synonymes et antonymes

 

Synonymes :

•  Désordre : Manque d’ordre; défaut de rangement, de disposition fonctionnelle ou esthétique. (CNRTL)
• Tohu-bohu : A – Chaos originel, état initial de la terre (CNRTL) B – Grand désordre, agitation confuse. (CNRTL)

Le désordre diffère du chaos car contrairement à lui, il ne relève pas du domaine de la mythologie et de la religion.

Le tohu-bohu vient de l’hébreu ancien תֹ֙הוּ֙ וָבֹ֔הוּ, tōhū wābōhū et apparaît dans la Genèse pour décrire l’état primaire du monde contrairement au chaos qui trouve son origine dans la mythologie grecque. En outre, le tohu-bohu désigne seulement un état et non pas un dieu et ne peut pas être utilisé dans le domaine de la géographie physique.

Antonymes :

• Harmonie : Combinaison spécifique formant un ensemble dont les éléments divers et séparés se trouvent reliés dans un rapport de convenance, lequel apporte à la fois satisfaction et agrément. (CNRTL)
• Ordre : Disposition, relation intelligible entre les choses. (CNRTL)

 

extrait philosophique

 

« Il faut encore avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse », Friedrich NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, 1883-1885

Friedrich Wilhelm Nietzsche (1844-1900) est un philosophe, critique culturel, compositeur, poète, écrivain et philologue allemand du XIXe siècle. Il est principalement connu pour ses idées de la volonté de puissance et du surhumain. Entre 1883 et 1885, il publie son livre de poèmes philosophiques Ainsi parlait Zarathoustra, sous-titré « Un livre pour tous et pour personne » (en allemand : Also sprach Zarathustra. Ein Buch für Alle und Keinen). Il y met en scène un prophète annonçant la mort de Dieu et la possibilité de devenir des surhommes.

 

Dans un premier temps, on pourrait supposer que cette citation signifie que dans une situation de crise (dont “chaos” serait la métaphore), on pourrait avoir l’occasion de découvrir de nouvelles opportunités ou d’autres directions possibles afin de sortir grandi de l’épreuve. Cette période de crise nous permettrait de percevoir de nouveaux chemins et qui sait, peut être que l’un d’eux nous mènerait au bonheur, dont “une étoile qui danse” serait la métaphore. Cette “étoile” pourrait également symboliser une nouvelle lumière, une lueur d’espoir. Le chaos serait alors le prix à payer pour la voir émerger.

À titre d’exemple, une dispute entre deux personnes aboutira parfois à une prise de conscience de certains problèmes et constituera alors une occasion d’y remédier. De plus, on peut supposer que Nietzsche fait référence dans sa citation à la mythologie grecque, plus particulièrement à la naissance des divinités primordiales Gaïa, Tartare et Éros, engendrées à partir de Chaos.

 

Dans un deuxième temps, on peut également supposer que la citation signifie qu’il faut toujours garder une part de mystère, d’incertitude dans nos envies : si l’on sait toujours exactement ce qu’on veut et ce qu’on ne veut pas, il n’y a plus de place dans notre esprit pour la fantaisie. Ne pas savoir ce qui nous attend et laisser une place au hasard pourrait aboutir à de belles opportunités qui n’auraient jamais pu être découvertes autrement. Par exemple, il arrive souvent qu’un imprévu nous amène à des situations bien plus divertissantes que ce que nous avions prévu de faire au départ. L'”étoile qui danse” de la citation illustrerait alors cette notion de fantaisie et d’amusement que nous procure parfois l’incertitude.

 

Dans un troisième temps, on peut supposer que le chaos s’opposant à l’ordre, la citation signifierait qu’avoir un esprit trop “rangé”, c’est-à-dire hermétique à toutes formes de vagabondage ou même de rêverie, pourrait tuer notre créativité et notre liberté de penser. En effet, puisque le Chaos est à l’origine de la création du monde, il semble cohérent qu’il symbolise la créativité ou la volonté créatrice.

En outre, l’adjectif “dansante” insiste sur la notion de mouvement : Nietzsche pourrait donc dans sa citation faire un éloge de la création et de l’innovation (mouvement vers l’avant) et plus généralement de l’évolution. En effet, l’acceptation de notre condition nous emmènerait dans une impasse où la progression deviendrait alors impossible.

 

(Portrait de Friedrich Nietzsche : Photographie prise par le photographe et portraitiste allemand Friedrich Hermann Hartmann en 1875)

 

illustration

 

(illustration de la Genèse par Wenceslas Hollar (1607-1677) intitulée Chaos, date inconnue)

 

Cette image est une illustration des deux premiers chapitres de la Genèse de l’Ancien Testament de la Bible, texte fondateur du judaïsme et du christianisme. Elle représente la création de l’univers par Dieu. Je l’ai choisi car elle m’intriguait notamment par le fait que les différents plans sont presque indistincts les uns des autres. De plus, elle m’a permis de faire des recherches sur la Genèse et la création de l’univers selon la Bible, ce que j’ai trouvé très intéressant.

Premièrement, on peut constater que la mer, les nuages et le ciel sont représentés ; cependant, ces éléments sont difficilement dissociables les uns des autres. Cela pourrait donc illustrer le chaos, d’autant plus qu’il est décrit par Ovide dans son ouvrage Les Métamorphoses comme une masse informe et confuse, un milieu sans orientation possible, un endroit où la terre est instable et où il est impossible de naviguer sur la mer. En effet, on peut voir sur l’image que la mer semble houleuse et donc difficilement navigable et que le ciel se confond avec la mer où il est donc impossible de se repérer. Ce désordre dans les éléments est caractéristique du chaos, où rien n’est à sa place.

Deuxièmement, on observe un soleil en haut de l’illustration qui rayonne sur le reste du paysage : il pourrait représenter la lumière divine qui chasse l’obscurité du chaos, et donc l’action de Dieu en train de façonner le monde pour créer l’univers. De plus, dans la lumière on peut apercevoir des caractères hébraïques ressemblant à l’écriture hébraïque du nom de Dieu (יהוה).

Cette image peut évoquer le sentiment que Dieu nous protège en apportant l’ordre et en faisant disparaître le chaos, en nous baignant de sa lumière divine. Ainsi, en plus d’avoir créé l’humanité, il lui permet de se poser sur une terre stable et de naviguer librement sur les mers, dans un monde régi par l’ordre et où chaque chose est à sa place.

 

Pour accompagner cette illustration, on peut citer les quatre premiers versets du chapitre 1 de la Genèse, où Dieu créé l’univers en chassant le chaos :

« 1. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

2. Or la terre était un chaos, et il y avait des ténèbres au-dessus de l’Abîme, et l’esprit de Dieu planait au-dessus des eaux.

3. Dieu dit : « Que la lumière soit », et la lumière fut.

4. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres »

(Genèse, 1, 1-4, traduction de Emile Osty et Joseph Trinquet, dans : La Bible, 1973, Paris, Seuil, 35).

 

interprétation personnelle

 

Le chaos est un mot mystérieux, souvent utilisé à tort et à travers. En effet, ses nombreuses significations font qu’il est employé quotidiennement dans de nombreuses situations. Cependant, on réduit souvent son utilisation à désigner le désordre et la confusion alors qu’il possède un sens bien plus profond et une puissante capacité d’évocation.

Tout d’abord, le chaos évoque le commencement du monde, mais également sa fin. Selon la mythologie, le monde tel que nous le connaissons en est issu ; cependant, ne pourrait-on pas supposer que le monde, arrivé au terme de son existence, retourne à son état originel : le chaos ? Celui-ci ne serait alors qu’une étape du cycle de l’existence de l’univers. En effet, toute chose ayant une fin, pourquoi en serait-il différent pour le monde qui nous entoure ? Comme tous les êtres, il aurait également un cycle de vie qui se répéterait  indéfiniment. Ce monde que nous connaissons n’en serait alors qu’un parmi tant d’autres : ceux qui l’ont précédé et ceux qui lui succéderont.

En outre, je trouve que ce mot possède une certaine dimension artistique. En effet, le chaos étant à l’origine du monde, il pourrait être considéré comme un symbole de création. Il désignerait au niveau de notre esprit une sorte de bouillon de pensées dans lequel nous tremperions, avant de voir émerger une idée concrète. C’est notamment le cas lors d’un brainstorming où l’on laisse surgir nos idées sur le papier sans les ordonner. Cela permet de s’affranchir des contraintes et de se sentir plus libre. Le chaos pourrait alors être perçu comme un symbole de liberté. En effet, avoir un “esprit chaotique” pourrait signifier avoir un esprit vagabond, foisonnant d’idées et libre de se disperser.

Néanmoins, en contradiction avec son caractère libre et créatif, le chaos pourrait également évoquer un sentiment d’oppression. Effectivement, il peut être associé à la confusion et à l’absence d’orientation. Cela nous renvoie à une situation de détresse, où l’absence de repère pourrait nous procurer la sensation d’être perdu, de ne plus savoir où aller et donc un sentiment de panique et de mal-être. Par exemple, l’impression de ne pas avoir de but dans la vie ou de ne pas savoir ce que l’on veut peut entraîner un sentiment d’incapacité et de malaise qui n’aurait pas lieu d’être dans le cas où l’on aurait eu une idée bien précise de ses désirs. Le chaos est en opposition avec cette notion de précision et être plongé dans le flou total peut vite amener à une sensation d’oppression.

Finalement, on peut donc trouver dans le chaos à la fois la liberté et l’aliénation. Ce paradoxe est cohérent avec la nature du chaos : un lieu où rien n’est à sa place et où même les contraires s’associent.

 

 

Alice BONNEAU, Terminale G