Nihilisme

Quel terme serait plus d’actualité que celui de nihilisme ? Quel mot serait plus dans l’air du temps ? On assiste depuis quelques années à une montée des extrêmes, des extrêmes modérés mais surtout d’extrêmes radicaux. Nous verrons que ces dévouements absolus à des causes, pouvant emmener au don de sa propre vie, consistent en un nihilisme actif, dur et radical. C’est donc parce que le nihilisme se reprend, sans dire son nom,  dans nos sociétés qu’il est utile voire nécessaire de l’étudier.

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William Blake, Nabuchodonosor, 1795.

Ce tableau semble représenter un homme errant, à quatre pattes, sans destination, le désespoir lui même. Le désespoir est le sentiment qui se rapproche le plus du nihilisme, on aurait pu intituler cette oeuvre “le nihiliste”.

 

Étymologie:

Le terme “nihilisme” provient du latin “nihil” qui signifie «rien». Il se forme avec le suffixe “-isme”, celui-ci souvent utilisé pour former un nom correspondant à une doctrine, une idéologie, un dogme ou une théorie comme les noms : communisme, hédonisme, libéralisme, darwinisme…

 

Définition 1: Doctrine selon laquelle rien n’existe au sens absolu; négation de toute réalité substantielle, de toute croyance. Négation des valeurs morales et sociales ainsi que de leur hiérarchie.  Disposition d’esprit caractérisée par le pessimisme et le désenchantement moral. 

(def. CNRTL)

Définition 2:  Négation des valeurs intellectuelles et morales communes à un groupe social, refus de l’idéal collectif de ce groupe. Tendance révolutionnaire de l’intelligentsia russe des années 1860, caractérisée par le rejet des valeurs de la génération précédente.

( def. Larousse: dictionnaire du moyen français, 1992)

Définition 3: Terme de philosophie. Anéantissement, réduction à rien. La théorie du nihilisme attribuée à Bouddha.  Absence de toute croyance. Se dit quelquefois aussi de l’idéalisme absolu.

(def. Émile Littré: Dictionnaire de la langue française (1872-77))

On peut remarquer que ces définitions s’accordent à dire que le nihilisme est “une négation de toute croyance”, seulement ne croire en rien n’est-ce pas une forme de croyance ? Ce paradoxe a été soulevé par de nombreux philosophes et écrivain comme Dostoïevski dans Le messager Russe. Les définitions des deux dictionnaires les plus récents évoquent la révolution russe des années 1860 durant laquelle le désespoir d’une classe de population toute entière avait mené ces révolutionnaires à un nihilisme totale, une perte de soi.

 

Position d’un philosophe:

Selon Nietzsche,  « Nihiliste est l’homme qui juge que le monde tel qu’il est ne devrait pas être, et que le monde tel qu’il devrait être n’existe pas. De ce fait, l’existence (agir, souffrir, vouloir, sentir) n’a aucun sens : de ce fait le pathos du « en vain » est le pathos nihiliste — et une inconséquence du nihiliste » (Par delà le bien et le mal, 1886). Nietzsche définit ici le concept qu’il nomme le nihilisme passif, c’est à dire commenter, gloser sur le fait qu’il n’y a rien, ou que comme il le dit “le monde tel qu’il devrait être n’existe pas”. Nietzsche définit la “compassion” de Schopenhauer comme ce même nihilisme passif.  Il indique par ces propos que d’après un nihiliste l’existence est incohérente et ne poursuit pas de but et que le pathos nihiliste correspond au pathos de la souffrance et de l’affect.  Ainsi, selon lui le nihiliste passif est celui qui préfère vouloir le néant, la destruction plutôt que ne rien vouloir du tout, être apathique.

 

 

Interprétation personnelle:

Le terme nihilisme fascine par les multiples paradoxes qu’il renferme. Selon Nietzsche, le nihilisme consiste en une négation absolue de tout, seulement la négation ultime n’est elle pas l’indifférence ? Or le nihilisme est au contraire une manifestation de la non existence. Le nihilisme ne correspond donc pas à l’indifférence. On en déduit que cette négation traduit finalement la manifestation d’une idée.

Au terme nihilisme est souvent associé une connotation péjorative dépressive, toutefois, ne peut on pas voir le nihilisme comme une perpétuelle et forcenée recherche de sens ? Ces négations automatiques mènent à une remise en question permanente de toute chose; ceci conduisant à une véritable quête de sens.

De plus, l’homme est à la recherche de la transcendance, Dieu et la religion peuvent assouvir ce besoin de transcendance, ce besoin de croire en quelque chose qui nous dépasse. Dostoïevski écrit dans Les frères Karamazov que “ si Dieu n’existe pas, tout est permis”, ainsi sans cette transcendance , on aboutit au nihilisme, et finalement à une perte de repères de buts, pouvant mener à la perte de nous même. C’est dans ce contexte, et avec la ferme conviction que plus rien au monde n’a de valeur, que des individus vont se perdre dans des causes ou des groupes extrémistes. Ces causes offrent cette idée de transcendance en promettant qu’en trouvant la mort on atteindrait le paradis.

 

Synonymes/ Antonymes: 

  • pessimisme, scepticisme

Le pessimisme ne suppose pas une absence de croyance au contraire du nihilisme. Le scepticisme induit une forme de discussion de contestation de ce qui est admis alors que le nihiliste ne discute pas il réfute.

  • enthousiasme, légalisme

 

 

(Pour aller plus loin, interview d’Alain Badiou, écrivain et philosophe d’inspiration marxiste, et sa vision positive du nihilisme.)

 

Glenn Ollivier