Colère

La colère

Préambule

Au 13ème siècle, Thomas d’Aquin m’a fixé définitivement dans la liste des sept péchés capitaux. Il me mit au côté de la paresse, de la gourmandise, de l’orgueil, de l’avarice, de l’envie et de la luxure. Ainsi, je suis la colère. Je vous ai déjà tous rencontrés, je suis peut-être même à côté de vous, en face de vous, un peu trop près certainement car vous me craignez puisque vous ne me voyez jamais arriver et je suis peut-être même déjà en vous. Pour toutes ces personnes que j’habite, que je hante, que je ronge, vous savez que je suis là mais vous ne pouvez pas le dire ou alors vous me criez. Pour les autres, vous savez que je ne suis jamais loin, alors vous essayez de faire barrage mais sachez que je suis un torrent qui finira par tout renverser. Vous ne savez pas pourquoi vous me ressentez. Qu’est-ce que je provoque en vous? Pourquoi j’allume cet incendie, cette boule de feu dans votre corps qui, pour extérioriser toute cette colère crache des charbons ardents? J’arrive dans votre vie et vous ignorez pourquoi. A cause de moi, vous avez déjà tous réagi violemment, dit des mots horribles, des injures, des insultes et toujours dans l’incompréhension de vous-même. Je retourne vos vies alors je pense que les présentations doivent être faite et c’est pour cela que je viens vous dire qui je suis.

Chapitre 1 : Mes origines

Mon prénom est Colère et je suis d’origine latine. Contrairement à d’autres mots, je suis relativement jeune. En effet mon arrivée dans le vocabulaire de la langue française s’est fait assez tardivement. Mon père était également d’origine latine et il se prénommait Cholera ce qui signifiait bile ou colère tandis que mon grand-père était d’origine grecque et son prénom était “χολέρα” dont la signification était choléra. Ainsi, de par mon prénom et avec les études d’Hippocrate réalisées entre 460 et 356 avant Jésus-Christ, dès ma naissance j’ai été associée à l’image de la bile. Pour Hippocrate, la bile est l’une des quatre humeurs cardinales ( les trois autres sont le sang, la pituite, et l’atrabile ) qu’il supposait être sécrété par la rate et, en cas d’excès, elle agissait sur le caractère en influençant le tempérament. De ce fait, un excès de bile était “enclin à la colère“. De plus, encore aujourd’hui, la bile fait référence à un liquide visqueux, amer, jaune ou brun qui intervient dans la digestion. Aussi, avec comme ancêtre Cholera, je véhicule cette notion d’infection intestinale grave dont les symptômes sont affreux, horribles et immondes pour tout Homme. Ainsi, j’évoque le dégout, le rejet, la crainte de tout le monde mais pourtant je suis bien là. Une fois que j’ai contaminé quelqu’un j’ai le pouvoir d’aller autre part. Comme la peste ou le choléra vous voulez vous débarrasser de moi mais rien ne m’arrêtera.

Chapitre 2 : Mon caractère

Depuis des siècles, je me balade d’individus en individus, je suis comme une maladie contagieuse… La colère d’une personne peut provoquer celle de dix autres. Je fascine comme je terrorise et c’est pourquoi vous essayez tant de me définir mais je ne suis pas sûre qu’une seule définition permette de me comprendre. Ce serait comme résumer un individu à une seule qualité et un seul défaut. Ainsi, je vais vous montrer comment j’ai grandi à travers les siècles, comment je me comporte avec vous et comment vous m’utilisez entre vous. Pour cela, je vais tenter de voir comment vous me définissez.

Dans Le Robert Collège de 2013 il est écrit “Violent mécontentement accompagné d’agressivité.”

Ensuite, si je prends la définition de Larousse je peux lire : “État affectif violent et passager, résultant du sentiment d’une agression, d’un désagrément, traduisant un vif mécontentement et accompagné de réactions brutales. Manifestation de cet état, accès d’irritation.”

Le CNRTL , quant à lui me définit comme “une vive émotion de l’âme se traduisant par une violente réaction physique et psychique”. Cependant, il me définit autrement lorsqu’il fait référence au domaine religieux : “un des sept péchés capitaux. Manifestation violente de la justice divine pour châtier l’Homme pécheur.”

Un jour un psychologue qui se nommait Wikipédia m’a dit : Selon moi, tu es une “émotion secondaire liée à une blessure physique ou psychique, un manque, une frustration.” Tu te caractérises “généralement par une réaction vive qui peut entraîner des manifestations physiques ou psychologiques de la part de la personne que tu hantes”. Cependant, cette personne arrive aussi à te retenir ou à te dissimuler.

Enfin, si je demande à un médecin il me répondra comme un l’a fait pour Le Journal des Femmes que je suis “une émotion vive qui se caractérise par un sentiment de rage intérieure, qui monte crescendo. Elle est généralement liée à un élément déclencheur précis, dépendant d’une situation. La colère peut être essentiellement interne, rester contenue « en dedans », ou bien s’exprimer « en dehors » par des marques physiques telles que les larmes, les cris, les pleurs, les gestes. Dans tous les cas, il s’agit d’un bouleversement du terrain psychologique de base, qui vient perturber la personne qui la subit.”.

Ainsi, je remarque que peu importe le domaine, je suis jumelle avec la violence et l’agressivité. Les définitions sont toutes d’accord pour dire que si je provoque tant de ravages c’est à cause d’un élément extérieur. Là où je m’interroge c’est que j’ai l’impression qu’elles minimisent l’impact et violence réciproque de cet élément extérieur. Cependant, je dois tout de même admettre que certaines fois, j’interviens alors que ma présence n’était pas indispensable. La définition du médecin se démarque des autres et pour cause il s’agit de la plus récente. Elle exprime l’idée que je peux être là, mais que la personne rongée par moi me cache très bien. Elle accentue le fait que je peux détruire, réduire à néant la personne, la vider de toute son humanité ce qui la pousse à agir avec bestialité. La médecine aborde le fait qu’en plus d’une traduction physique de moi, les “coléreux” m’utilisent contre eux-mêmes. Ce n’est pas moi qui les fais agir, ce sont eux qui m’utilisent comme arme pour agir.

Chapitre 3 : La philosophie et moi

Dès ma naissance, j’ai intrigué les philosophes puisqu’en effet, ce que je provoquais chez certains posait des problèmes dans la vie. Ainsi, Sénèque, qui est un artiste, dramaturge, homme d’État et philosophe et qui est décédé en 65 après Jésus-Christ, a déclaré à propos de la colère : “Si tu veux vaincre la colère, elle ne peut te vaincre. Tu commences à vaincre si tu la fais taire.” Ainsi, lorsque Sénèque a déclaré ceci il pensait avant tout que l’Homme restait maître de lui-même c’est à dire qu’il pourrait maîtriser ses émotions, ses réactions, ses pulsions et donc sa colère. Tout cela se comprend puisque Sénèque est un stoïcien il a donc pour notion centrale de son mode de pensée l’ataraxie. Lorsque nous parlons de la maîtrise de ses émotions il ne s’agit donc pas là d’une capacité à utiliser ou pas, mais d’une obligation, d’un devoir pour le bien de l’Homme individuel et collectif. Pour Sénèque, je suis quelque chose de mal, et je le vois puisqu’il incite à se battre contre moi. J’amène à la perte de toute raison. Or la raison est ce qui caractérise l’Homme : le pouvoir de savoir ce qui est juste ou pas. Ainsi, sous l’effet de la colère nous agissons bestialement et devenons illégitimes. Cette citation témoigne d’un paradoxe. Depuis toujours et je le vois avec Sénèque, vous tentez de me dissimuler comme si j’étais une honte. Or, d’après vos définitions, la colère évoque les cris, les pleurs, les coups de poing, les insultes, la violence. Soit que des choses visibles et qui font du bruit. Sénèque vous explique que pour gagner contre moi il faut me faire taire. Là est tout le paradoxe puisque le silence gagnerait contre les hurlements.

Chapitre 4 : Mes amis et mes ennemis

Dans la vie, j’ai rencontré deux autres mots avec lesquels je m’entends assez bien. Pour le coup nous nous ressemblons tous les trois. Le premier que j’ai rencontré c’est Fureur et ensuite nous avons rencontré Rage.

Fureur fonctionne un peu comme moi, c’est à dire qu’il provoque des dérèglements passagers du comportement, pouvant caractériser certaines folies, et se manifestant par des actes d’extrême violence. En fait, Fureur est comme moi mais en beaucoup plus intense et démesuré.

Concernant Rage, il peut désigner une maladie transmise par la morsure d’animaux infestés qui provoque un état d’angoisse et d’agitation pouvant aller jusqu’aux délires furieux et à la paralysie. Cependant, il désigne également la même chose que moi mais là aussi en plus intense et violent. Rage peut aussi se manifester par un silence hargneux fait de colère, de ressentiment ou de haine comme si ce qu’elle était en train de vous faire vivre était à cause de quelque chose qui vous indignait ou que vous considériez comme scandaleux.

Fureur, Rage et moi nous opposons à Calme et Apaisement. En effet, Calme désigne la tranquillité et la sérénité et Apaisement évoque le fait d’être apaisé, d’avoir un retour à la quiétude.

Chapitre 5 : Parasitisme avec une femme

J’ai trouvé refuge depuis quelques mois chez femme. Je dis refuge car elle ne m’exprime pas ou alors que très peu et pas sous ma forme habituelle. Je souhaite là vous montrer à quel point je suis complexe et bien plus qu’une réaction violente. Ainsi, je vais vous partager le ressentit de mon hôte. J’ai toujours été là pour elle : elle m’a souvent utilisé. Enfant, c’était pour exprimer son simple mécontentement, sa mauvaise humeur, son irritabilité… Adolescente, pour exprimer sa révolte contre le monde, les désaccords, l’incompréhension. Pour elle, la colère peut être spontanée ou sur longue durée. La spontanée détruit les autres, l’élément déclencheur de sa colère tandis que la longue durée la détruit elle. Quand une chose futile la met en colère, elle crie, elle tremble mais cela passe. Quand quelque chose qu’elle ne peut pas tolérer, qu’elle juge illégitime se passe, elle ne veut pas exprimer sa colère car elle sait qu’elle sera décrédibilisée et pourtant je suis bien là. Alors la “colère longue durée” s’installe. Elle se mure dans un silence, par peur d’exploser, elle réfléchit, elle rumine, et moi je continue de grossir en elle. Je suis de plus en plus grande, je dois me nourrir de plus en plus, alors je mords dans ses entrailles, je la ronge, il ne reste plus rien en elle mais j’ai faim alors je lui tords le cerveau, lui tape dans la tête, je lui donne des coups de poing pour lui rappeler que je suis là, pour lui rappeler pourquoi je suis là. Je la menace de prendre possession de son corps et de faire appel à Rage et Fureur. Elle ne veut pas craquer, alors je lui lance des signaux. Je fais intervenir la mauvaise humeur, la tristesse, la méchanceté… elle ne sait plus qui elle est. La moindre faille et tout éclatera. Ce sera une bombe. Malheureusement, le problème avec moi c’est que je suis toujours la fautive. Pour cette femme et pour les autres que j’ai côtoyés, ils ont toujours été incriminé par leur entourage de m’avoir utilisé alors qu’ils ne se sont jamais souciés de la raison de leur colère. Alors oui, certaines fois je ne suis pas légitime, mais l’injustice, l’intolérance, l’égoïsme, l’acharnement, le mensonge, l’hypocrisie, la malhonnêteté, soient tous ces actes d’immoralité ne sont-ils pas pire qu’utiliser une seule fois la colère? De plus, je pense que je peux faire changer les choses. J’ai le pouvoir de dynamiser certains. Lorsque j’arrive dans leur vie, je peux leur faire prendre conscience de certaines choses, les éveiller, les éclairer…  Chez cette femme pleine de colère, je l’aide à aller de l’avant. Alors certes, je suis Colère donc je suis pleine de pensées négatives mais au moins pendant ce temps mon hôte avance, mon hôte se bat, elle veut vaincre, elle veut gagner, elle veut prouver !

Chapitre 6 : Mes visages

Maintenant que nous nous connaissons un peu mieux, je vais vous montrer à quoi je ressemble.

Vous l’aurez compris, je ne suis pas qu’un.

Ce tableau a été réalisé par Antoine STEVENS qui est un jeune artiste français ayant travaillé pendant deux ans sur le thème du cri. Ce tableau me représente assez bien puisqu’au premier coup d’œil il répond à la première idée que vous vous faites de moi c’est à dire “crier”. En effet, j’observe trois visages confondus, aucun n’est visible en entier, cela s’apparente à Cerbère. Les deux têtes de droite ont toutes les deux la bouche ouverte puisqu’elles semblent crier tandis que celle de gauche à la bouche fermée et semble pleurer. Cependant, les trois visages évoquent tous la souffrance puisqu’ils ont les traits tirés, les sourcils froncés, le nez créant des rides, les yeux exorbités. Je trouve que ce tableau d’Antoine Stevens me représente assez bien puis qu’ils sont trois. Ainsi, vous voyez que je ne pousse pas à une réaction, que je suis différente en fonction de mon hôte, que je suis complexe, imprévisible. Ainsi, je suis UNE colère mais avec de MULTIPLES facettes. De plus, ce tableau est sombre mais avec beaucoup de couleurs notamment du rouge. L’absence de luminosité évoque la souffrance dans laquelle je peux mettre certains individus et le rouge évoque ce qui se passe en eux et ce qu’ils seraient capables de faire… Néanmoins, la présence de toutes ses couleurs atteste qu’une personne en colère peut très bien cacher son état, me masquer où me déguiser et faire croire que tout va bien uniquement grâce son apparence. Ainsi, ce tableau illustre bien ma complexité et ma différence. 

 Flavie ALLAIN