Anthropophage

Ce mot n’est pas connu de tous, et est parfois confondu avec cannibalisme. J’ai choisi ce mot car c’est quelque chose qui, dans notre société, nous dégoûte et nous intrigue. Être anthropophage signifie consommer de la chair humaine. C’est quelque chose qui horrifie et souvent on se dit que même les personnes les plus cruelles n’oseraient le faire. Il semble intéressant de le définir et d’étudier sa signification.

Étymologie :

Le mot anthropophage vient du grec ἄνθρωπος (anthrôpos), qui signifie “être humain”, et  φαγία (phagía) qui se rapporte à l’action de “consommer”.

Le mot grec ἀνθρωποφάγος (anthrôpophágos) signifie déjà à son époque “mangeur de chair humaine” et a ensuite donné anthropophagus en latin, puis anthropophage en français actuel.

Définition :

D’après le CNRTL, un anthropophage est un “mangeur de chair humaine  (…) exemple : Il est peu de sauvages qui se refusent à dévorer la chair d’un ennemi vaincu. Jules Verne” ou “une personne barbare et cruelle (…) exemple : C’est le ton de la critique homicide, anthropophage, caraïbe, de l’heure présente. E. et J. de Goncourt, Journal,1895

D’après le dictionnaire Le Petit Robert (version papier, 2012) : un anthropophage est quelqu’un “qui mange de la chair humaine, spécialement en parlant des humains. Tribu anthropophage – un, une anthropophage”

D’après le Furetière Gallica (dictionnaire en vieux français, publié en 1684)) : “Qui mange les hommes. Presque tous les Indiens Occidentaux étaient des peuples anthropophages. Cette nation est anthropophage. Les millionnaires vont prêcher l’Évangile jusque chez les anthropophages. Ce mot est grec, et signifie, mangeur d’hommes.”

On observe que la définition du mot n’a pas vraiment changé, et qu’il a toujours signifié  la même chose à savoir le fait de consommer de la chair humaine et de la cruauté ou barbarie. Une nuance se trouve dans le Gallica en vieux français, où est clairement cité le nom d’un peuple anthropophage, considéré comme “sauvage”. Dans les versions plus récentes (Petit Robert de 2012), ces notions de “sauvage” et de “non civilisés” ne sont pas évoquées. Il n’est également pas question de barbarie ou de cruauté mais seulement de l’action de consommer

Extrait d’un texte philosophique :

Dans son dictionnaire philosophique (1878), Voltaire écrit un article s’appelant “Anthropophages“.

“Il y avait parmi eux une dame du pays, à qui je demandai si elle avait mangé des hommes ; elle me répondit très-naïvement qu’elle en avait mangé. Je parus un peu scandalisé ; elle s’excusa en disant qu’il valait mieux manger son ennemi mort que de le laisser dévorer aux bêtes, et que les vainqueurs méritaient d’avoir la préférence. Nous tuons en bataille rangée ou non rangée nos voisins, et pour la plus vile récompense nous travaillons à la cuisine des corbeaux et des vers. C’est là qu’est l’horreur, c’est là qu’est le crime ; qu’importe quand on est tué d’être mangé par un soldat, ou par un corbeau et un chien ? ”

Dans cet extrait il raconte sa rencontre avec une femme ayant consommé de la chair humaine. Elle comprend qu’il soit scandalisé mais essaye de lui expliquer. D’après elle, lorsque l’on se bat et que l’on gagne, on ne mérite pas de cuisiner “des corbeaux et des vers”, soit de la nourriture de mauvaise qualité, pendant que les chiens mangent nos ennemis. Les ennemis sont considérés comme de la chair fraîche comestible. Donc lorsque la bataille est gagnée et qu’ils sont déjà morts, pourquoi devraient-ils se priver de cette nourriture ? Il y a dans cet extrait une désacralisation de la mort qui n’est plus que physique. Par l’utilisation de cet exemple, Voltaire inverse les points de vue, il nous met à la place de la personne anthropophage. Il nous amène à penser “c’est vrai, pourquoi pas” pour que l’on puisse avoir un vrai esprit critique et ne pas rester enfermé dans cette supériorité du “moi je ne pourrais jamais faire ça”. Il ne tente pas de nous faire changer d’avis mais de nous exposer de façon rationnelle un autre point de vue.

Synonymes et antonymes :

D’après le dictionnaire du CNRTL, le synonyme le plus proche du mot anthropophage est “cannibale“. La définition est très similaire. D’après le dictionnaire du Larousse, le cannibalisme c’est : “Action ou habitude pour les hommes ou les animaux de manger des êtres de leur propre espèce.” La nuance est donc qu’un Homme cannibale est anthropophage mais un autre animal cannibale n’est en rien anthropophage car il mange un individu de son espèce. Dès lors, quand on ne parle plus de l’être humain, ces deux notions sont bien distinctes. Un autre synonyme est le mot “sauvage“. D’après le CNRTL, ce mot possède beaucoup de définition, l’une d’entre elle est “Qui vit à l’écart des formes de civilisation dites évoluées, qui est proche de l’état primitif“. Ce synonyme  évoque le côté inhumain et non civilisé de l’anthropophagie.

Il n’existe pas dans le CNRTL d’antonyme au mot anthropophage. L’inverse serait “qui ne consomme pas de chair humaine”. Or l’Homme ayant tant et tant évolué, il n’est le régime d’aucun être vivant et l’anthropophagie relève de cas isolés et/ou rares. Mais on peut quand même donner le mot “végétarien“, qui signifie “se nourrit de végétaux et de produits d’origine animale à l’exclusion de la chair” et qui donc indirectement signifie “ne mange pas de chair humaine”.  On pourrait également donner le mot “philanthropie“. D’après le CNRTL, ” Activité du philanthrope, exercice de la bienfaisance ; Ensemble des personnes qui pratiquent la bienfaisance” et “ Amour qu’une personne a naturellement pour ses semblables, qualité de celui/celle qui est animé(e) de cet amour ; ex : tout le monde l’aimait, il aimait tout le monde.”  Ce mot vient s’opposer aux notions de barbarie et de cruauté, et évoque un amour de l’humanité.

Interprétation :

Il existe différentes formes d’anthropophagie. Chez certaines tribus anthropophages, boire le sang et manger la chair de leurs ennemis était un moyen de s’approprier leur force. Le délire anthropophagique est une forme de croyance : boire le sang de l’homme rapprocherait l’individu du divin.  Comme vu précédemment, l’anthropophagie peut aussi  venir du fait de considérer ses ennemis comme de la chair comestible au même titre que les proies que l’on chasse.  Cette idée bouleverse l’ordre proie-prédateur. Habituellement on est la proie des uns et les prédateurs des autres. Dans le cas de l’anthropophagie, on peut être soit proie soit prédateur.  Tout semble n’être qu’une question de chance.Il est aussi perçu chez certains peuples comme un acte d’humiliation pour la personne dépecée et sa famille. L’anthropophagie est généralement considérée comme un acte de folie dans les sociétés occidentales.

Rationnellement, l’idée de manger de la chair humaine est scandaleuse. En tant qu’humain nous ajoutons une dimension de pitié voire une dimension presque affective, car nous considérons la victime comme une personne à part entière. Très vite, on se rapporte à des exemples concrets et extrêmes. Pourrait-on manger un membre de notre famille ? Un de nos amis ? La réponse spontanée est évidemment non. Dans notre culture, la mort en tant que telle est déjà une vision d’horreur. Consommer de la chair serait ajouter à l’horreur déjà présente.

Le mot anthropophage me fait également penser aux mythes. C’est un mot très détaché de notre réalité, de nos sociétés… Cependant il est familier, voire courant (pour son synonyme cannibale). On y accorde une dimension mystique, spirituelle. Comme si les peuples pratiquant l’anthropophagie vivaient aussi sur Terre mais n’étaient pas vraiment humains. On y pense aussi parfois dans des cas assez rares se déroulant dans nos société et résultant par exemple de la folie. Des Hommes perdant leur raison, ne réfléchissant plus et qui sont seulement guidés par la faim et leurs instincts. Là aussi, ils ne sont alors plus vraiment considérés comme humains.

Une histoire assez connue d’anthropophagie est la scène représentée sur le tableau “le radeau de la méduse”, peint par Théodore Géricault en 1819. Une frégate (la Méduse) fait naufrage et un groupe de personnes se retrouve sur ce radeau. La faim, la soif, puis peu à peu la folie entraînent des comportements anthropophages. Ce tableau est saisissant car on voit des corps agonisants, des cadavres et tout le tableau évoque le désespoir. C’est une vision cauchemardesque et effroyablement réaliste, ce tableau étant inspiré d’une histoire réelle.  L’anthropophagie restera pour nous et nos sociétés encore longtemps  une pratique horrible et dénuée de toute humanité.

Illustration :

Pour illustrer l’article, j’ai choisi une image de la mythologie grecque.

Francisco de Goya, Saturno devorando a su hijo (1819-1823).jpg

Ce tableau s’appelle “Saturne dévorant un de ses fils” (Saturne est le nom romain du dieu Cronos). Il a été peint par Francisco de Goya entre 1819 et 1823, à l’huile, directement sur les murs de sa maison.

Dans la mythologie grecque, Cronos, le roi des titans apprends qu’un jour il sera renversé par un de ses fils. Il prend peur et mange ses enfants un à un à la naissance. Mais sa femme, Rhéa, tente de protéger leur dernier fils (Zeus) en emmaillotant une pierre à la place. Cronos ne s’en aperçoit pas, mange la pierre, et quand Zeus grandit, il revient détrôner son père et libérer ses frères et sœurs. Sur le tableau, on voit Cronos qui mange un de ses enfants. On voit que la tête et une partie du bras gauche ont été mangées. Il tient le corps à deux mains, est agenouillé au sol, a les yeux écarquillés et semble fou. Il ne semble plus se contrôler, et comme évoqué précédemment, il ne semble pas humain.

Le tableau est très sombre, et s’il fallait imaginer un décor autour, on penserait aux enfers. Ce tableau évoque bien l’anthropophagie et tout ce que nous y associons. A savoir, la folie, la cruauté, la douleur

 

Manon Rouxel

 

Une réflexion sur « Anthropophage »

  1. Amorce percutante, même si un petit tour sur “le conjugueur” du Bescherelle ne serait pas du luxe !

    Consulter 3ème dictionnaire pour compléter un bon relevé par ailleurs. Je vois des différences entre les deux définitions données.
    Attention au verbe “évoluer”, trop imprécis.

    Citation très pertinente. Voir comment Voltaire renverse la perspective. demandez-vous pourquoi il prend cet exemple-là (exemple inventé).

    Vous avez annoncé des différences entre “cannibale” et “anthropophage” : c’est à expliquer.
    Mettez bien en valeur (en gras par exemple) les mots étudiés (fonction métalinguistique du langage 😉 ).
    Végétarien, c’est une bonne idée. Essayez de trouver un autre antonyme. Peut-être autour d’une idée religieuse, d’un corps humain qui serait sacré ?

    Montrez bien ce qui est la thèse adverse et ce qui est votre thèse, par des modalisateurs plutôt que par “Personnellement, je”, trop oral.
    Je ne comprends pas cette phrase : “Le délire anthropophagique est une conviction psychotique” ? A quoi faites-vous allusion ? A Hannibla Lecter ? Allez voir la fiche “ça”…
    “Scandalisant” ?
    Argumentaire par ailleurs riche et très intéressant. Revenir en fin de texte à la thèse défendue, pour donner sens au bon exemple du “Radeau de la méduse”.

    Impeccable sur l’illustration et son commentaire : propos pertinent et précis. J’aime bien la fin nous renvoyant aux travaux d’autres camarades : c’est bien dans l’esprit de ce blog-dictionnaire.

    Quelques erreurs de grammaire à corriger un peu tout au long de l’article : attention aux phrases sans principales, aux accords, à distinguer “voir / voire”.

    Bon travail !

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