Anthropophobie

“L’homme est un animal sociable”, cette citation d’Aristote est désormais dans notre langage courant et est répétée comme une vérité générale. Mais, l’apparition de phobies sociales ne remettait-elle pas en cause cette affirmation ? Un anthropophobe est-il donc, par définition, moins humain ? La société occupe une place importante dans la philosophie, j’ai donc trouvé intéressant d’étudier l’anthropophobie : la peur des humains, et ainsi, connaitre un point de vue opposé à cette célèbre citation sur la place des autres pour un individu.

Étymologie

Le mot anthropophobie est un substantif formé de deux éléments : “anthropo” du grec “homme” utilisé dans différents domaines scientifiques ; et “phobie” du grec “peur morbide, crainte”,  appartenant aux domaines de la psychologie et de la psychopathologie.

(CNRTL.fr)

Définitions

(Lalanguefrançaise.com : Ds Ac. Compl. 1842, Guérin 1892, Lar. 20e)

Cette définition est plus usuelle, elle repose plus sur l’aspect de haine de la phobie utilisée également dans l’homophobie.

  • (Psychologie) Aversion pour les humains

Cette définition repose, quant à elle, sur l’aspect dégoût envers les humains et apporte la notion de psychologie, et donc, de trouble.

(Psychanalyse.com)

  • Crainte pathologique des gens et de la compagnie des gens ; est une variante de la névrose sociale, qui est un trouble panique. Il se manifeste par le désir d’éviter la société.

(Encyclopédie.fr)

  • Désigne la crainte pathologique des gens et de leur compagnie. Elle se manifeste par le besoin d’éviter toutes interactions sociales et la peur irrationnelle / incontrôlable d’interagir avec des gens. Contrairement à d’autres troubles d’anxiété sociale, l’anthropophobie est la peur des personnes elles-mêmes, pas des situations sociales.

(Santemagazine.fr)

  • Forme extrême pathologique de la timidité. Elle peut se manifester par un rougissement, rencontrer le regard d’autrui, la maladresse ou l’inquiétude des autres lors d’une comparution dans la société. Comme la plupart des phobies, l’anthropophobie est retracée due à des expériences traumatisantes. Cette phobie spécifique de personnes peut être due à la génétique ou de l’hérédité.

(Educalingo.com)

Enfin, ces trois définitions reposent toutes sur les aspects psychopathologiques et la manifestation de cette phobie. La dernière définition est la plus précise.

Synonymes

  • Misanthropie : Haine à l’égard du genre humain ; caractère sombre, humeur chagrine qui pousse à fuir les rapports humains.

(CNRTL.fr)

Tout comme l’anthropophobie, la misanthropie est un dégoût, une haine des humains qui pousse à la fuite de la société. Cependant, contrairement à l’anthropophobie, la misanthropie n’a rien d’un trouble psychopathologique mais se rapporte plus à une idéologie

  • Scopophobie : trouble anxieux caractérisé par une peur morbide d’être vu ou observé par autrui. 

(Parclaservision.fr)

Tout comme l’anthropophobie, la scopophobie est une phobie sociale. Cependant, la scopophobie est une peur spécifique à une situation sociale, tandis que l’anthropophobie est une peur des personnes en général. La scopophobie fait partie de l’anthropophobie.

Antonymes

  • Autophobie : peur morbide d’être seul.

(La-clinique-e-sante.com)

  • Sociable : Qui se lie facilement aux autres et avec qui il est agréable de vivre. 

(Larousse.fr)

Citation

Si l’on tentait d’ébaucher un traité de démonologie contemporaine, on trouverait de nombreuses figures possibles du mal : l’intelligence artificielle, le pédophile ou encore le banquier mais, dans le fond, un thème pourrait presque tous les lier dans l’ombre : la détestation de l’humanité. En effet, de façon explicite ou seulement en creux, ces figures du mal reposent souvent sur une anthropologie misanthropique. Quelque chose que je propose de nommer anthropophobie.

(L’anthropophobie : l’humain comme figure du mal contemporain, Gérald Bronner, dans Cité 2022 n°91)

Le philosophe évoque ici ce qui est, selon lui, la cause de tous les maux de notre société, une anthropologie misanthropique : l’anthropophobie. Il définit l’anthropophobie comme la détestation de l’humanité, ce qui se rapproche davantage de la définition misanthropique du terme, et comme un lien, un thème sur lequel toutes les “figures du mal” sont fondées.

Le dilemme des hérissons de Schopenhauer met en comparaison la distance nécessaire entre chaque hérisson pour ne pas se blesser les uns les autres, tout en se tenant au chaud, et, nos relations dans la société. La “distance” entre chaque homme est la politesse permettant les interactions dont on besoin les hommes tout en respectant leur intimité. Une expérience sur ce “problème des hérissons” a mis en évidence qu’un déséquilibre de cette distance, dans un sens (ostracisme) ou dans l’autre (non-respect de l’intimité), pousse à un comportement anthropophobe. Gérald Bronner nous montre ainsi la faille de notre société : les hommes respectent de moins en moins cette distance aux dépens de ceux qui les entourent, entrainant l’anthropophobie et tout le mal qui l’accompagne.

Illustration

(polycarpes.fr, Les miroirs de l’âme, Suzanne Demontrond, 2016, fait au stylo noir, participation à un concours d’illustrations sur le thème des troubles mentaux

À travers cette illustration, l’artiste a voulu représenter l’anthropopobie. Ce dessin se compose de deux éléments. Le premier élément, en bas à droite, est une petite fille. On peut voir des traits de mouvement autour de la petite fille indiquant qu’elle tremble et qu’elle est effrayée. Cette petite fille est repliée sur elle-même de telle sorte qu’elle n’occupe qu’un tout petit espace du dessin. La petite fille semble vouloir disparaître. Sa position montre également qu’elle se renferme sur elle-même. Le second élément, quant à lui, occupe tout le reste du dessin. Ce sont de nombreux yeux, de tailles et de formes différentes, tous dirigés vers la petite fille. Tous ces yeux semblent former un monstre terrifiant. Ce monstre, c’est le regard des autres vu par une personne souffrant d’anthropophobie, comme cette petite fille. L’atmosphère du dessin est sombre et pesante : la petite fille semble oppressée par cette atmosphère et ce monstre. La peur du regard des autres est l’une des composantes de l’anthropophobie. Les personnes atteintes de ce trouble évitent les interactions sociales et se renferment sur elles-mêmes exactement comme cette petite fille. Je trouve donc que cette illustration représente bien le mot anthropophobie. 

Interprétation personnelle

Le premier mot qui nous vient à l’esprit, lorsque l’on pense au mot anthropophobie, est la misanthropie. Ils sont en effet pratiquement indissociables et un lien de cause à effet les unis : la peur mène à la haine, l’anthropophobie mène à la misanthropie. Bien que très proche, leurs fondements sont complètement différents : la misanthropie est une idéologie et est donc par conséquent réfléchie, tandis que l’anthropophobie est une maladie et donc déraisonnée, comme on pourrait avoir peur d’une araignée inoffensive, ou d’une salade pour certains. 

La question de la société est un sujet primordial de la philosophie et l’anthropophobie est un bel exemple de paradoxe. “L’homme est un animal sociable” a dit Aristote, de nombreux philosophes ont porté leur thèse en s’appuyant sur cette phrase, devenue un fait, une vérité générale. L’anthropophobie pourrait bien remettre en cause cette affirmation. Si l’homme est un animal sociable, pourquoi certains se sentent-ils si mal en société ? Pourquoi certains souffrent-ils des relations et interactions sociales jugées primordiales à l’homme ? Ces hommes doivent-ils maintenir leurs interactions sociales malgré leur souffrance ?

L’anthropophobie, comme les autres phobies sociales, se développent de plus en plus dans nos sociétés contemporaines. Cela montre-t-il une défaillance naissante de notre société ? Ou l’Homme perd-il peu à peu son humanité ? La peur grandissante entre chaque homme ne nous empêchera-t-elle pas, à long terme, de permettre aux hommes de continuer à vivre en société ?

Parmi les anthropophobes célèbres se trouvent Chamfort, Léautaud ou encore l’auteur Jules Renard : “Il semble que, malgré le goût qu’il éprouvait pour le succès, une existence brillante, peut-être pour la gloire, en tout cas pour une vie mondaine active, la compagnie de ses contemporains finissait par lui devenir insupportable.” déclare l’écrivain Jacques Bens, dans un livre qu’il fit de l’auteur.  

 

 

Cloé Menard

Une réflexion sur « Anthropophobie »

  1. Amorce efficace.
    Jusqu’à la citation, c’est impeccable, et franchement excellent.
    Idée de justifier mon salaire 😉 j’ai trouvé une erreur de grammaire : on écrit “se rapprocher de”. Je trouve maladroit de rester aussi longtemps sur l’apologue des hérissons ; vous oubliez la citation que vous étudiez. On aimerait plus de précision sur les différents mots. Quel est le point commun entre tout ce qu’il cite ?
    Entre nous, je ne vois pas trop ce que le banquier fait ici… Est-ce de l’ironie de la part du philosophe ? C’est bizarre, cet amalgame…
    Très belle illustration, très bien analysée. Histoire de justifier mon salaire, bis 😉 (oups, humour répétitif), j’ai trouvé une erreur d’homonymes : “ses” à la place de “ces”.
    Quelques erreurs d’orthographe dans l’argumentaire aussi. Attention distinguer point de vue / fait : un fait se produit forcément dans le réel ; c’est un événement. Questionnement très pertinent. Mais peut-être a-t-on peur des autres parce qu’on sait que, sans eux, on n’est pas humain ? Je ne comprends pas cette phrase : “La peur grandissante entre chaque homme né mou empêchera-t-elle pas, à long terme, de permettre aux hommes de continuer à vivre en société ?” Né mou ????
    La fin n’est pas très convaincante non plus : si Léautaud, effectivement, a passé une bonne partie de sa vie en hôpital psy, où il a écrit une bonne partie de son admirable oeuvre, pour Chamfort et Jules Renard, j’ai un doute ! Peut-être serait-ce intéressant de chercher à voir ce qui amplifie cette peur sociale : quelles hypothèses pourriez-vous faire ?

    Avec toutes mes excuses pour le souci technique (mais vous avez peu de temps à passer dans l’amélioration, car c’est déjà un travail de très bonne tenue) ! Bon travail 🙂

Laisser un commentaire