Dérive

INTRODUCTION :

La dérive est le murmure du changement, le frémissement des possibles qui éclot dans le silence de l’inconnu.

Connaître le mot “dérive,” c’est comprendre la beauté et la fragilité du voyage, qu’il soit physique ou métaphorique. Ce terme poétique évoque la douce dérive des bateaux portés par les courants, les esprits errants explorant des terres inconnues, et les sociétés progressant en dehors des sentiers battus. En comprenant la notion de dérive, nous devenons conscients des forces invisibles qui influencent nos chemins, rappelant que la vie est un équilibre constant entre maîtrise et lâcher-prise. Voilà pourquoi il faut connaître le mot “dérive” : pour embrasser la richesse des chemins imprévus et la profondeur des transformations subtiles.

 

ÉTYMOLOGIE :

Le nom dérive vient du latin « derivo ». Le préfixe “de-” indique une action qui va dans une direction opposée ou qui s’éloigne de quelque chose, tandis que “rivus” en latin désigne un cours d’eau ou un flux. Ainsi, “derivo” était originellement utilisé pour décrire le détournement d’un cours d’eau.  Au fil du temps, le sens du mot s’est élargi pour inclure des connotations de déviation, de changement de direction, et plus généralement de mouvement qui s’écarte d’une norme ou d’une trajectoire prévue.

 

DÉFINITIONS :

A: terme de marine. Le sillage que fait un vaisseau que les vents & les courants détournent de la route qu’il tient. Nous nous laissâmes aller à la dérive. Dans ce sens lorsque le détour que le vaisseau a fait, porte au chemin qu’il veut faire, on dit que la dérive vaut la route. Académie française 2e édition (1718)

B : au figuré déviation progressive et incontrôlée. Dérive politique. Le Robert

C : dispositif installé sur un bateau ou sous un avion pour l’empêcher de dériver. TLFi

D : fait de s’écarter de la voie normale, d’aller à l’aventure, de déraper : la dérive de l’économie. Larousse

La dérive, dans son sens maritime (définition A), désigne le déplacement involontaire d’un navire sous l’influence des forces naturelles, comme les vents et les courants, empêchant de suivre la route prévue. Paradoxalement, l’expression “La dérive vaut la route” souligne que ce détour peut parfois réaligner le navire sur la bonne voie, transformant la dérive en un atout.

La définition B élargit ce concept au-delà du contexte maritime, indiquant que la dérive, progressive et souvent imperceptible à court terme, résulte de forces extérieures perturbant une trajectoire prévue, conférant une dimension presque fatale.

La définition C se focalise sur un outil spécifique : un aileron mobile installé sur un voilier ou un avion pour prévenir la dérive en améliorant la résistance latérale et en maintenant le cap malgré le vent.

La définition D introduit une dimension subjective à la dérive, évoquant un écart par rapport à une norme ou une attente personnelle. Ce décalage peut être perçu positivement, comme une aventure bénéfique à long terme, contrairement au terme “déraper” qui implique une perte de contrôle sans avantages. En économie, la dérive fait référence à des écarts imprévus dans les pratiques ou les politiques, souvent menant à des résultats incertains ou indésirables.

 

CITATION :


“La dérive est la pente douce qui mène à tout.” – Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, 1948

Antoine de Saint-Exupéry — Wikipédia
Antoine de Saint-Exupéry en 1933. https://commons.wikimedia.org

 

 

 

 

 

 

 

Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) était un écrivain, poète, aviateur et reporter français. Il a participé à la Seconde Guerre mondiale aux côtés des résistants et a œuvré pour l’implication des États-Unis dans le conflit. Il est mort lors d’une mission de reconnaissance aérienne avant le débarquement de Provence. Certaines de ses œuvres, telles que “Le Petit Prince” et “Citadelle,” ont été publiées à titre posthume. “Citadelle,” restée inachevée, est une œuvre philosophique profonde qui rassemble les réflexions de Saint-Exupéry sur des thèmes essentiels tels que la condition humaine, le sens de la vie, les liens entre les hommes et le lien avec Dieu.


À travers la comparaison de la dérive et de la pente douce, il est suggéré que la dérive est souvent un processus graduel et imperceptible. Comme une pente douce, elle peut être facile à commencer, mais difficile à arrêter une fois que l’on est engagé. Cette pente douce fait écho à une progression est relativement facile et sans effort intense. En soulignant la facilité de la dérive, Saint-Exupéry met en évidence le danger de l’apathie ou de l’inaction. La dérive peut survenir lorsque nous abandonnons nos efforts pour rester sur la bonne voie, lorsque nous nous contentons de laisser les choses suivre leur cours sans intervention active. Cette pente tranquille, plutôt attractive, peut être fruit de notre paresse nous entraîne de manière subtile mais certaine vers un « tout ».

De plus, dans cette citation  l’adjectif “douce” suggère légèreté et nonchalance, minimisant le sérieux souvent attribué à la dérive. L’auteur présente la dérive comme une expérience plaisante et enrichissante, marquée par un humour subtil. Il souligne que les détours imprévus ne sont pas catastrophiques mais peuvent mener à des découvertes valables. Cette perspective invite à apprécier les imprévus de la vie avec humour et ouverture d’esprit, sans prendre trop au sérieux les écarts de la trajectoire prévue.

En disant que la dérive “mène à tout”, Saint-Exupéry laisse entendre qu’elle peut nous conduire vers n’importe quelle destination, positive ou négative. Cependant, le caractère pessimiste de la dérive semble être privilégié en premier lieu. En effet, une pente évoque une descente et dans la religion chrétienne le sous-sol représente l’enfer. Cette hypothèse ne peut être omise étant donné qu’Antoine de Saint-Exupéry était chrétien. Pourtant, l’emploi d’un « tout » laisse libre cours au lecteur d’interpréter comme il le souhaite cette destination. Certains diront qu’il faut tomber pour mieux se relever, cela impliquerait un demi-tour sur cette pente douce ou une montée à la suite de la pente. Dans les deux cas, ces actions demanderaient des efforts plus ou moins intenses et longs. De plus, le « tout » souligne le caractère universel de la dérive : elle peut affecter tous les aspects de nos vies et nous éloigner de nos objectifs, de nos valeurs ou de notre bien-être.

Ainsi, cette citation met en lumière la tendance humaine à se laisser emporter par le courant de la vie sans faire preuve de vigilance ou de détermination. Cette dérive entrainante et agréable nous amène à un résultat incertain et mouvant. Paradoxalement, il nous appartient de choisir comment utiliser ces détours pour déterminer notre propre cap. Cette vision invite à apprécier les imprévus avec humour et ouverture d’esprit, sans prendre trop au sérieux les écarts de la trajectoire prévue.


SYNONYMES ET ANTONYMES :


SYNONYMES :

Déviation : action de s’écarter par rapport à la direction que l’on semblait normalement devoir suivre ; écart qui en résulte. CNRTL

Égarement : État, généralement de courte durée, caractérisé par une perte de conscience ou de contrôle de soi, et dû à un excès de plaisir ou de douleur, à une forte surprise. CNRTL

La déviation indique un écart par rapport à une trajectoire, une norme ou une direction établie tout comme la dérive. Cependant, contrairement à la dérive qui implique un mouvement continu et progressif, la déviation est un écart ponctuel ou temporaire. Ce terme est souvent utilisé pour décrire un changement brusque ou momentané par rapport à une trajectoire attendue ou à un comportement habituel. Le terme de déviation induit très souvent un résultat identique, seuls les chemins, manières d’y arriver sont différentes. Alors que le résultat de la dérive est beaucoup plus incertain.

L’égarement implique généralement une perte de chemin, de direction ou de repère. Ces repères sont souvent propres à chacun ou à chaque société contrairement à la dérive qui se fait par rapport à une norme plus large. Cela peut se référer à une situation où quelqu’un se trouve dans un état de confusion, de désorientation ou de perdition. En termes plus abstraits, l’égarement peut aussi se rapporter à une perte de sens, de morale ou de valeurs. C’est souvent associé à un sentiment de désarroi ou de perte de repères dans la vie ou dans une situation donnée. L’égarement se concentre principalement sur la perte de repère, de chemin alors que la dérive met l’accent sur le mouvement progressif de changement de trajectoire bien que ces deux phénomènes soient produits par des causes précises (Changement de milieu, situation ; aléas naturels). De plus, la dérive peut être plus ou moins souhaitée (dérive politique) contrairement à l’égarement qui lui est subi.

ANTONYMES :

Alignement : action de disposer en ligne droite. La langue française

Contrôle : le fait de maîtriser. Le Robert

 

ILLUSTRATION :

Photographie de l’œuvre d’art de GERDA STEINER AND JÖRG LENZLINGER “LES PIERRES ET LE PRINTEMPS” dans la Chapelle du château de Chaumont-sur-Loire par Apolline Brousse en avril 2024

 

L’œuvre “Les Pierres et le Printemps” de Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger est une installation artistique qui combine des éléments naturels tels que des pierres, des plantes et des fleurs pour créer un environnement immersif et évolutif. Les artistes utilisent ces matériaux organiques pour transformer l’espace d’exposition en un paysage fantastique et en constante évolution, où les visiteurs sont invités à explorer et à interagir avec les éléments de l’installation. À travers leur travail, Steiner et Lenzlinger explorent les thèmes de la nature, du changement saisonnier, de la transformation et de la relation entre l’homme et son environnement. Leur œuvre encourage une expérience sensorielle et contemplative, invitant les spectateurs à réfléchir sur la beauté éphémère de la nature et sur notre connexion avec le monde qui nous entoure. Le choix de faire cette œuvre dans une chapelle nous pousse également à réfléchir sur la religion, la spiritualité et la nature.


J’ai choisi de présenter cette œuvre d’art, car elle m’a dans un premier temps interpellée, beaucoup plus et c’est instinctivement la première image qui m’est venu à l’esprit en cherchant une représentation visuelle de la dérive. J’ai donc souhaité l’analyser afin de mieux quels liens je pouvais faire avec le terme dérive. En effet, L’œuvre “Les Pierres et le Printemps” de Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger pourrait être associée au concept de dérive de plusieurs façons.

Tout d’abord, l’installation artistique peut évoquer le concept de dérive dans le sens où elle peut représenter une exploration des forces naturelles qui façonnent le paysage au fil du temps. Les pierres et les éléments naturels utilisés dans l’œuvre peuvent être interprétés comme étant soumis à des forces de dérive telles que l’érosion, les mouvements tectoniques, ou les cycles saisonniers. Effectivement, le principe de dérive dans la nature illustre comment les systèmes naturels subissent des changements progressifs et continus au fil du temps, souvent en réponse à des forces externes ou à des processus internes. Ces changements peuvent être observés à différentes échelles, allant des mouvements tectoniques à grande échelle aux processus évolutifs au niveau moléculaire.

Ensuite, l’utilisation de matériaux naturels tels que les pierres, les plantes et les fleurs dans l’installation peut également évoquer le concept de dérive des matériaux. Ces éléments semblent être assemblés de manière organique, évoquant peut-être un sentiment de mouvement ou de fluidité dans la composition artistique. Il est pourtant peu habituel de voir des éléments aussi diversifiés comme des branches d’arbres, des fleurs et fruits en plastiques, un téléphone portable, des plumes, des épis de maïs… Assemblés pour former une œuvre d’art, cela n’est pas leur rôle initial. Bien que de plus en plus de mouvements artistiques cassent les codes des matériaux comme le dadaïsme.

Cette œuvre témoigne également des dérives de la société vis à vis de la religion ici chrétienne. En effet, il y a quelques siècles de cela, il aurait été inconcevable de créer une œuvre d’art dans un lieu de culte tel qu’une chapelle. De plus, L’installation pourrait refléter les tensions entre la spiritualité et le matérialisme dans la société contemporaine, où les valeurs chrétiennes traditionnelles sont souvent en conflit avec les valeurs de la société de consommation. Par exemple, elle inclut des éléments naturels et organiques associés à des symboles de renouveau et de renaissance spirituelle, contrastant avec des éléments artificiels ou manufacturés qui représentent la superficialité et l’avidité matérialiste. Aussi, l’œuvre pourrait exprimer la recherche de sens et de transcendance dans un monde sécularisé où les valeurs religieuses traditionnelles ont perdu de leur influence. Elle représente la quête spirituelle des individus à travers des symboles et des motifs qui évoquent des thèmes universels tels que la vie, la mort, la nature et la transcendance.

Enfin, l’œuvre elle-même peut être considérée comme une dérive artistique, dans le sens où elle représente une exploration créative et intuitive des matériaux et de l’espace. Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger peuvent être perçus comme des artistes en dérive, explorant de nouvelles façons de créer et de communiquer à travers leur travail.

 

INTERPRÉTATION:

La dérive, loin d’être simplement un phénomène naturel, revêt une dimension complexe et ambivalente. Observer sa manifestation dans des exemples comme la dérive des continents nous confronte à une réalité plus profonde : tout être vivant, minéraux inclus, est sujet à des pressions internes et externes qui suscitent cette dérive. Réduire ce concept à de la paresse serait simpliste ; il s’agit plutôt d’un état secondaire, souvent inconscient, résultant d’une perte de repères et aboutissant à un changement de trajectoire. Mais que signifie réellement dériver ? Est-ce simplement avancer sans but précis, ou cela implique-t-il une remise en question plus profonde de notre cheminement ?

Dans cette perspective, la dérive peut être interprétée comme une preuve de courage. S’engager dans ce mouvement, qu’il soit induit par des forces externes ou internes, demande une audace particulière. S’arrêter complètement, par contraste, pourrait être considéré comme une forme de paresse. Avancer sans connaître la destination démontre une force d’esprit, même lorsque la dérive est subie. Mais quelles sont les conséquences de cette rupture avec les normes établies ? Est-ce un acte de rébellion ou de résignation ?

Gustave Thibon, connu pour ses positions conservatrices, affirmait que la dérive était le contraire du progrès, exprimant ainsi une méfiance envers les changements rapides et radicaux. Mais est-ce vraiment le cas ? N’est-il pas possible que la dérive puisse également être un moyen de découvrir de nouveaux horizons, de repousser nos limites et de transcender nos conventions ? Thibon souligne-t-il une vérité universelle ou exprime-t-il simplement une perspective personnelle, influencée par ses propres convictions et expériences ?

Simone Weil, contemporaine de Thibon, offre un éclairage différent sur la dérive. Bien qu’elle n’ait pas explicitement abordé ce concept, ses réflexions sur la société moderne et la justice sociale peuvent être interprétées à la lumière de cette notion. Son engagement radical en faveur de la justice et de la spiritualité peut être vu comme une forme de dérive consciente et délibérée. Mais comment sa vision de la dérive se compare-t-elle à celle de Thibon ? Y a-t-il des convergences ou des divergences fondamentales entre leurs perspectives ?

En fin de compte, la dérive et son analyse offrent une opportunité de progrès. En explorant nos limites morales et éthiques, nous sommes confrontés à de nouvelles expériences dont nous pouvons tirer des leçons pour avancer. Mais quelles leçons pouvons-nous réellement en tirer ? La dérive est-elle un obstacle à surmonter ou une voie vers l’épanouissement ? Ces questions, bien que complexes, nous invitent à réfléchir sur notre capacité à évoluer et à progresser dans un monde en perpétuel mouvement.

Apolline BROUSSE

Une réflexion sur « Dérive »

  1. Quelle belle “captatio benevolentiae” lyrique ! Bravo ! En revanche, la suite, un peu sèche et assez écolonovlangue (désolée pour le néologisme, mais je pense que vous verrez ce que je veux dire) est moins convaincante…

    C’est trop long, sur les définitions : faire une comparaison plus synthétique des définitions données. L’étymologie aussi gagnerait à être raccourcie.
    Il en est de même avant l’interprétation de la citation (très bien choisie) : deux paragraphes peu pertinents.
    Sélectionnez davantage les informations que vous partagez !
    Votre interprétation est très précise, très intéressante, bien écrite : bravo ! Il y a juste l’adjectif “douce” que je vois comme une trace de trace de légèreté chez cet auteur. J’ai l’impression qu’il ne se prend pas au sérieux… d’autant plus qu’il y a deux mouvements : un détour qui est une descente ? J’y vois de l’humour.

    Impeccable pour les synonymes et les antonymes.

    Passionnante étude de l’oeuvre d’art que vous nous faites découvrir : bravo !
    Je suis moins convaincue en revanche par votre argumentaire. Attention aux formules de développement personnel du type “sortir de sa zone de confort”. La référence à Gustave Thibon est intéressante, mais nuancez-la. Il était proche de Simone Weil : n’a-t-elle pas écrit sur la dérive ? et son parcours, sa mort si radicale, sont peut-être des exemples de dérive ?
    Etudiez davantage ce que suppose le mot. Vous voulez mettre en avant son ambivalence, semble-t-il : dites-le… Posez des questions.

    Bon travail ! 🙂

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