Ça

“Ça”,  c’est typiquement le genre de mot que l’on n’a absolument pas besoin de connaître. On l’utilise partout, tout le temps, certainement trop. ” C’est ça”,  “ça va” (mais quoi, au juste ?)… “Ça”, c’est le mot qui nous sauve, c’est le mot qui nous aide à finir nos phrases quand on se rend compte qu’on n’a plus rien à ajouter. Oui, parce que “ça” tout seul, sans contexte, ça ne veut rien dire. Cependant, je pense qu’il peut être intéressant à étudier, d’une part parce qu’il a un sens particulier dans le domaine de la psychanalyse, d’autre part, pour que l’humanité prenne conscience que, lorsque l’on s’inquiète de l’état de santé de quelqu’un, c’est bien “ça va” qu’il faut écrire, non pas “sa” (que vient faire un possessif devant un verbe ?)…

ETYMOLOGIE ;

Ça est un pronom démonstratif, provenant du complément d’objet çoulà (XIIème siècle) ; c’est le fruit de la contraction des mots ce (pronom démonstratif) et (adverbe), l’accent grave ayant disparu au fil du temps.

Sources : http://www.cnrtl.fr/ ; http://fr.wiktionary.org/wiki/

DÉFINITIONS ;

Dictionnaire Larousse en ligne (http://www.larousse.fr/):

(familier)

  • La chose dont il s’agit, qu’on désigne, ou que vous savez ;
  • Cette personne, ces personnes ;
  • Quelque chose d’indéterminé (parfois à la place de il avec des verbes à sujet impersonnel) ;
  • S’emploie après certains mots interrogatifs, comme support d’intonation

Dictionnaire L’Internaute en ligne http://www.linternaute.com/ :

  • pronom démonstratif

Synonymes :

  • cela (“ça” est en fait la forme contractée et familière du mot “cela”)
  • ceci (qui indique l’objet/sujet sur lequel d’avantage se focaliser, et est en ce sens opposé à “cela”, qui indique traditionnellement un objet/sujet de moindre importance)

Antonymes :

  • ceci (fondamentalement, le sens est le même que “ça”, puisque c’est un démonstratif ; mais dans la mesure où on l’oppose souvent à “cela”, et que “cela” est un synonyme de “ça”, je me permets de le considérer comme un antonyme)
  • surmoi (voir ci-dessous)

Il est amusant de constater que ce mot n’appartient presque qu’au langage oral ; l’une de ses seules autres utilisations se fait dans le domaine de la psychanalyse.

N’ayant pas réussi à trouver de définition psychanalytique du “ça” qui me satisfasse sur le net, j’ai donc cherché une définition donnée par le Dr Freud lui-même (ce qui me permet également une subtile transition vers l’extrait philosophique que j’ai choisi de citer. Bon techniquement, c’est plus un texte psychanalytique que philosophique, mais comme Freud figure dans mon livre de philo, je me permets) :

C’est la partie la plus obscure, la plus impénétrable de notre personnalité. [Lieu de] Chaos, marmite pleine d’émotions bouillonnantes. Il s’emplit d’énergie, à partir des pulsions, mais sans témoigner d’aucune organisation, d’aucune volonté générale; il tend seulement à satisfaire les besoins pulsionnels, en se conformant au principe de plaisir. Le ça ne connaît et ne supporte pas la contradiction. On y trouve aucun signe d’écoulement du temps.

Sigmund FreudSeconde topique,  1920

Tout d’abord, une légère contextualisation s’impose : pour Freud, médecin neurologue autrichien de la fin du XIXème/début XXème et créateur de la psychanalyse, la psyché de tout humain serait constituée de deux instances qui se confrontent : le ça, englobant les pulsions sexuelles et de mort et le surmoi, regroupant l’acquis, ce qu’apporte l’éducation, les interdits sociétaux, la bienséance, les bonnes manières, etc. L’addition des deux formerait le moi.

Dans l’extrait présent, Sigmund Freud détaille le ça. Le ça serait donc impossible à comprendre et à maîtriser. Imprévisible, il ne répondrait à aucune logique ; seules les pulsions (“le représentant psychique des excitations issues de l’intérieur du corps et parvenant au psychisme” selon Freud, toujours) guideraient cette part de la psyché humaine.

On peut remarquer que pour parler du ça, Freud emploie de nombreuses métaphores : il est comparé au “chaos”, de par son aspect imprévisible et dénué de logique. Cette absence d’ordre, de sens pousse également le psychanalyste à utiliser l’image d’une “marmite bouillonnante” : le ça est comme un récipient contenant des émotions qui se mélangent, s’entrechoquent dans un mouvement perpétuel, manquant de déborder à chaque seconde en provoquant des pulsions de violence.

INTERPRÉTATION PERSONNELLE ;

C’est pour moi assez difficile de donner une interprétation sur un mot tel que “ça” : je n’ai pas d’affection particulière pour lui, il ne représente rien pour moi. Tout au plus, j’apprécie l’idée d’un terme si simple, de deux pauvres lettres capables à elles seules de définir une notion, aussi complexe que le ça, et qu’un ridicule démonstratif puisse porter tout le sens d’un important pan immergé de cet iceberg qu’est l’inconscient humain.

Cependant, je trouve la vision  de Freud quelques peu manichéiste : selon sa théorie, le psychisme humain serait constitué exclusivement du “bien” et du “mal”, le mal étant l’état psychique d’origine de toute personne (puisque le surmoi est constitué de tous les interdits sociétaux que nous apporte notre éducation, éducation que nous ne possédons évidemment pas quand on vient de naître). Cela signifierait-il donc que chaque nourrisson, à la naissance, serait un dangereux psychopathe ? Même si l’idée d’animalité originelle jugulée par par la société me paraît plausible, la psyché humaine est, à mon humble avis, plus subtile et complexe.

IMAGE ;

Je tiens à préciser que c’est l’image suivante qui m’a donné envie de travailler sur ce mot.

Capture d’écran du film The Silence of the Lambs, réalisé Jonathan Demme en 1991. Anthony Hopkins y incarne Hannibal Lecter.

J’aime énormément le personnage de Hannibal Lecter. Créé par Thomas Harris en 1981 et un des protagonistes principaux d’une série de romans et de films, c’est un tueur en série cannibale, sans remords, tout en étant un être intelligent, cultivé et adepte des bonnes manières. J’apprécie énormément le paradoxe entre l’image qu’il cultive, celle d’un psychiatre raffiné et poli, et l’incroyable violence dont il est capable.

Ce personnage complexe me semblait donc tout indiqué pour figurer au bas d’un article portant sur le ça : assurément, un être faisant à la fois preuve d’un surmoi extrêmement développé et d’une animalité inouïe (et donc d’un ça assez incroyable) aurait été un sujet particulièrement intéressant à étudier pour feu-ce cher monsieur Freud.

Je trouve cette photo particulièrement représentative du personnage. On voit Hannibal Lecter de face, au milieu du cadre, son visage face à nous. On dirait qu’il nous regarde : son regard est déterminé, particulièrement lucide, contrastant avec la folie caractérisant son comportement. On comprend ainsi aisément en quoi le personnage est dangereux : il agit comme un monstre tout en étant parfaitement conscient de le faire. De plus, la lumière rougeâtre donne un aspect particulièrement inquiétant au personnage.

 Par Joséphine Coulonnier