Consensus

Je n’aime pas ce mot. Je crois que c’est pour cela que je l’ai choisi : si la sonorité du terme, l’agencement de syllabes qui le forme sonne à mes oreille comme un mot noble, raffiné et élégant, le sens qu’il dégage me sied nettement moins. Comme j’ai le sentiment que ce mot a une connotation positive et que j’aime bien donner des coups de pieds dans des châteaux de cartes (même insignifiants et perdus sur un blog noyé dans les méandres du web) je me ferai un plaisir de le traîner dans la boue.

Accessoirement, c’est un mot utilisé partout et tout le temps, et cela peut toujours être utile de savoir à quoi il fait référence.

ÉTYMOLOGIE ;

Consensus est un mot qui signifie, en latin, ‘accord’.  Il est tiré du verbe ‘consentire‘, (cum- : ‘ensemble’ et sentire : ‘penser’,  ‘juger’) ; ce terme est au moins utilisé depuis le XIXè siècle.

source : http://www.cnrtl.fr/ ; https://fr.wiktionary.org/wiki/

DÉFINITIONS ;

Dictionnaire Larousse en ligne (http://www.larousse.fr/):

  • Accord et consentement du plus grand nombre, de l’opinion publique : Consensus social.
  • Procédure qui consiste à dégager un accord sans procéder à un vote formel, ce qui évite de faire apparaître les objections et les abstentions.

Dictionnaire L’Internaute en ligne (http://www.linternaute.com/) :

  •  Accord entre plusieurs parties, plusieurs personnes. Accord de la majorité ou du plus grand nombre.

Il est à remarquer que le Larousse évoque la notion d’opinion publique, terme assez paradoxal dans la mesure où il associe un mot relatif à quelque chose de personnel – un point de vue, une idée sur un sujet – à la notion de ‘public’, d’une majorité qui penserait la même chose ; en ce sens, l’opinion publique est assez proche du consensus.

Synonymes :

  • Accord
  • Assentiment
  • Consentement

Ces termes diffèrent du mot consensus dans la mesure où un accord ou un assentiment peut ne faire qu’unir dans une même idée deux personne ou deux parties, alors que le consensus évoque un accord plus large, à plus grande échelle.

Antonymes :

  • dissensus (vraiment, je ne connaissais pas l’existence de ce terme ! Si j’avais su, ce serait de lui que j’aurais parlé…)
  • désaccord
  • controverse

 

CITATION PHILOSOPHIQUE ;

« Consensus universel : l’accord des “on”. »

Raymond Queneau,  XXème siècle (pour être ‘précise’, entre 1903 et 1976).

Certes, Raymond Queneau n’est pas réellement considéré comme un philosophe, mais sa petite phrase, je l’aime bien. Elle résume assez bien ce qui me déplaît dans la notion de consensus : le ‘on’ évoque la masse, le groupe et met à l’écart l’individu : ce n’est plus un homme qui parle, c’est le groupe qui le fait à sa place. On perd donc, de cette façon, l’identité, le vécu, les opinions de chacun : l’individu renonce à ses opinions, ses désirs, ses valeurs pour accepter le choix du groupe, qui n’est qu’un maigre consentement collectif sans valeur individuelle. Si ce mot suggère l’accord du groupe, du ‘on’, du plus grand nombre, Queneau pointe du doigt l’autre facette du terme : le désaccord refoulé, la frustration des ‘je’ individuels et des nuances, aux aspérités que leur point de vue pourraient apporter au lisse consentement collectif. Pour Queneau, le consensus a quelque chose d’hypocrite : en apparence seulement, tout le monde est d’accord.

Cette maxime est, finalement, assez proche du ‘despotisme de la majorité‘ de Tocqueville, décrivant une tendance qu’il pressent de la part de la majorité à écraser, à noyer les minorités ; or, cela va à l’encontre de la liberté de tous, puisque certains sont, toujours selon Tocqueville, tyrannisés par les autres.

INTERPRÉTATION PERSONNELLE ;

 Pour moi, ce mot évoque un renoncement à ses opinions, à ce que l’on est au profit d’un accord immédiat : un consensus me paraît être la fuite du débat, de la confrontation pour aboutir à tout prix à un consentement collectif. Or, le consentement collectif n’est pas nécessaire : chacun a le droit d’avoir un avis divergeant des autres  et de l’exposer, et, de par sa position, apportera une vision nouvelle de la situation. Même si l’on n’est pas d’accord avec cette vision nouvelle, le fait de la prendre en compte enrichira notre propre opinion et fera, peut-être, évoluer cette dernière.

Le débat et les questions, les oppositions sont, selon moi, nécessaires à la construction de l’individu, et le fait de chercher à tout prix un accord collectif nuit à cette construction et pointe la différence, l’opposition comme quelque chose d’anormal alors qu’au contraire, cette source de diversité est une richesse ; le débat est une des meilleures façon pour lutter contre le consensus.

IMAGE ;

satire du dessinateur Aaron

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 Cette image résume assez bien ce que je pense du consensus. C’est un accord en apparence, en apparence seulement : chacun renonce un peu à ce qu’il pense ou envisage pour trouver un terrain d’entente : pour avoir un accord parfait et total de chacun des participants à la discussion menant au consensus, il faudrait qu’il n’y en ait qu’un seul.

Aaron démontre bien l’hypocrisie du terme : la petite phrase ajoutée au dessin (traduisible par “Il semblerait que nous ayons un consensus“) présente le consensus comme une éventualité, comme si la décision prise avait suscité moult débats avant d’être votée, alors que le votant est tout seul.

Par Joséphine Coulonnier.