SOS Bescherelle !

Il ne m’est pas possible de corriger très vite vos articles, car je ne dois pas forcer sur mes yeux. En attendant les commentaires vous recommandant des améliorations, je vous incite à corriger la grammaire de vos travaux. Aucun besoin d’un rappel de ma part pour aller vérifier chaque verbe sur le conjugueur. Pensez aussi à faire des phrases simples, ponctuées, reliées les unes aux autres par des connecteurs logiques.

Inspirez-vous des textes philosophiques du manuel, ou bien de ce type de texte : Denis Ramond, La bave du crapaud, Paris, Editions de l’observatoire, 2018

“Partons de principe communément admis et que l’on trouve fréquemment dans les systèmes juridiques libéraux. D’un côté se trouve des atteintes dont on considère souvent qu’elles ne devraient pas être pénalement sanctionnées : les atteintes aux croyances (par exemple, le fait de ridiculiser des dogmes, des pratiques religieuses et des superstitions), les atteintes au goût et à ce que l’on appelle parfois la « moralité ». Ces expressions transgressive, provocante, forment le cœur de la liberté d’expression. De l”autre côté, on admet la répression de l’injure, de la diffamation et de la provocation à la violence et à la discrimination, en particulier lorsqu’elle se fonde sur la “race” (ou l’ “ethnie”), l’origine nationale, l’appartenance à une communauté religieuse, ou encore le genre et l’orientation sexuelle des personnes visées (à l’exception notable des États-Unis). Deux types d’atteinte se dégagent alors. Les atteintes acceptables, autorisées dans la plupart des démocraties, portent sur des préférences. Qualifier les croyances, les goûts, la moralité et les opinions de “préférence” ne va pas de soi, mais le choix de ce terme s’éclaircir a progressivement : contentons-nous pour l’instant d’appeler « préférences » tout composant de l’individualité que l’on peut adopter, modifier ou rejeter. D’un autre côté, nous avons tendance à juger inacceptable les atteintes aux personnes, qui regroupent les injures, la diffamation, les menaces ou encore l’incitation à la violence. Ces atteintes aux personnes sont estimées particulièrement graves lorsqu’elles se fondent sur une appartenance, par exemple la race, l’ethnie, l’origine ou l’orientation sexuelle.

Nous tenons ici une piste. Il serait légitime de punir les atteintes aux personnes en particulier lorsqu’elles visent leur appartenance, contrairement aux atteinte aux préférence. Cette distinction permet de tracer clairement et rigoureusement les limites de la liberté d’expression. Quelques précisions sont toutefois nécessaires. Parler d’atteinte aux appartenances ne signifie pas que ceux qui s’estiment victimes de paroles et de représentations « appartiennent » à des « races », des « ethnies » ou des « sexes », mais qu’ils sont diffamés, menacés ou injuriés au nom de cette appartenance. L’exemple typique est celui du racisme, car on peut subir des injures racistes sans appartenir à une supposée « race ».

De nombreuses formes d’expression semblent résister à la distinction entre les atteintes au préférence et aux appartenances. Ce problème se rencontre souvent au sujet des propos les plus controversés : par exemple, le fait de placer les atteintes en raison de l’orientation sexuelle du côté des atteintes aux appartenance peut sembler contestable puisque l’on parle bien de préférences sexuelles. Les pages qui suivent permettront, je l’espère d’y voir plus clair. Enfin la classification ici proposée ne tient pas nécessairement compte de la valeur que les individus accorde à leurs préférences. Il est tout à fait envisageable que des personnes soient davantage contrariées par des sarcasmes à l’égard de leur goût et de leurs convictions que par des injures, même violentes ; pour l’individu moyen, elle ne saurait toutefois avoir la même signification. Pourquoi ? 

La distinction entre les atteintes aux préférences, aux personnes et aux appartenance ne s’appuie pas sur une enquête empirique portant sur les sentiments profonds des personnes (qui serait irréalisable), mais elle peut tout de même être fondée en raison : préférences, personnes et appartenances ne sont pas révisables de la même manière. 

Que signifie « révisable » ? Au sens le plus courant, parler du caractère révisable de quelque chose signifie qu’il est possible de le modifier, de le corriger ou de l’abandonner. C’est dans ce sens que l’on révise son jugement ou son opinion. Mais il faut préciser ce critère et examiner la manière dont il peut s’appliquer à la liberté d’expression. Si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout tout est révisable. On peut avec l’aide de la chirurgie changer de sexe, voir changer de race. On peut changer d’orientation sexuelle, sous la pression sociale ou pour préserver une certaine image de soi. Dira-t-on pour autant que la race, le sexe ou l’ orientation sexuelle sont aussi révisables que les croyances, les opinions et les jugements ? Ce serait excessif pour une raison simple : on qualifie de révisable ce que l’on peut modifier par la discussion, la réflexion et la critique, c’est-à-dire par l’usage de la liberté d’expression. Des caractéristiques individuelles sont révisable lorsqu’elles offrent une perméabilité aux formes d’expression auxquelles ces individus sont confrontés.

Le critère de révisabilité permet de distinguer les atteintes aux préférences des atteinte aux personnes et aux appartenances. Les préférences subissent l’influence des comportements expressifs. Des personnes éprouvent de la peine ou de la colère à voir les symboles de leur pays désacralisés et leur croyance ridiculisée. Il n’en reste pas moins que ces émotions pénibles ressenties peuvent être le prélude d’une discussion et d’une révision de leurs croyances. À quoi tiennent l’adoption, la persistance ou l’abandon de préférences ? Au milieu familial, aux origines géographiques et à la position sociale que l’on occupe sans aucun doute, mais également, même si ce n’est que de manière marginale, aux critiques auxquelles nous sommes confrontées, à des lectures et aux débats que l’on a avec son entourage. 

Les atteintes aux personnes procèdent tout différemment. On voit mal comment se “réviser” à la suite d’une injure ou d’une diffamation. Une injure violente qui m’est adressée n’amorce pas à proprement parler un processus de révision. Il s’agit plutôt de l’enclenchement d’un cycle de violence (verbale puis, éventuellement, physique). Quant à la diffamation, que puis-je faire si de fausses informations sont diffusées sur mon compte ? Sûrement pas « réviser » mon comportement. 

Il en va de même pour les atteinte aux appartenance. Le fait de viser des groupes ou des individus par des propos racistes ou sexistes ne s’apparente pas à une tentative de discussion mais plutôt à un processus d’exclusion où les victimes sont disqualifiés en raison d’appartenance difficilement révisables, voire impossibles à réviser. Des travaux de psychologie sociale montre que le désespoir ressenti lorsque l’on subit une injure raciste provient en grande partie du fait que les propos touchent un élément incurable de la personnalité, laissant la victime impuissante face à une donnée de base sur laquelle elle ne peut rien.

L’application du critère de révisibilité ouvre à son tour de nouvelles questions. Le cas déjà mentionné de l’ orientation sexuelle soulève ainsi des difficultés particulières : en 2005, juste après que les parlementaires français avaient adopté une loi interdisant l’injure et la diffamation visant l’ orientation sexuelle, le député UMP Christian Vanneste affirmait dans un entretien que l’homosexualité était “une menace pour la survie de l’humanité » et qu’il s’agissait d’un comportement « inférieur moralement ». Attaquer en justice par des associations pour injure homophobe, le députés fut finalement blanchi par la Cour de cassation, qui estima qu’il n’avait pas franchi les limites de la liberté d’expression. Quoi que l’on pense de cette décision, l’important est que la distinction entre les préférences et les appartenances est au centre des débats : pour se défendre, Christian Vanneste soutenait que l’homosexualité est un comportement acquis (à la différence de la “race” ou  de l’origine), soit une préférence parmi d’autres, susceptible d’être soumise à la critique et à la réprobation morale. Le raisonnement est pourtant douteux : si l’on peut certes changer d’orientation sexuelle au cours de sa vie, il ne s’agit pas là d’une « révision » comparable à la révision des opinions et des jugements. Cet épisode est néanmoins une illustration du fait que la plupart des débats liés à la liberté d’expression peuvent s’interpréter à la lumière de la distinction proposée : les auteurs des propos prétendent souvent toucher de simples préférences, tandis que ceux qui les attaquent en justice les accusent de s’en prendre aux personnes et à leurs appartenances.

Le cas de la religion semble également défier la distinction entre préférence et appartenance. La loi Pleben, adoptée en 1972, interdisait, pour la première fois en France, des injures, la diffamation et la provocation à la violence et à la haine contre les personnes en raison de “leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, nation, une race ou une religion déterminée”.  Or la présence de la religion dans cette liste a quelque chose de surprenant. Celle-ci, à proprement parler, ne saurait être une appartenance. Les atteintes à la religion se situent en réalité à un point d’intersection : elle peut viser des préférences (croyance, foi, pratique et rite), mais aussi une communauté de fidèles définie par des stéréotypes ethniques et raciaux. Dès lors, dans les litiges concernant la religion (qui sont en général très médiatisés et dramatisés), la question centrale pour déterminer la limite de l’acceptable et l’inacceptable sera, de notre point de vue, de se demander s’il s’agit d’une atteintes aux préférences  ou d’une atteinte à des individus ou des groupes en tant qu’ils appartiennent à une catégorie jugée inférieure. Indépendamment des débats concernant telle ou telle forme d’expression, la distinction entre les préférences, les personnes et les appartenances s’expose à une objection de fond, que l’on pourrait appeler l’objection sociologique. Elle consisterait à affirmer que la séparation entre des éléments révisables et non révisables de la personnalité est superficielle, parce qu’elle ne tient pas compte des déterminismes sociaux et culturels qui pèsent sur les individus. Nés dans certains milieux, éduqués dans des traditions et des valeurs solides, leurs préférences ne résultent pas d’un libre choix issu d’un raisonnement rationnel, mais font partie d’eux au même titre que leurs appartenances éventuelles.

Nous verrons que la distinction entre les préférences et les appartenances tient contre l’objection. Mais surtout, cette distinction n’est pas seulement fondée sur des propriétés différents de la personnalité, à savoir leur caractère révisable ou non. Et s’inscrit également dans une situation spécifique aux démocraties, qui garantissent en principe le pluralisme moral, culturel, idéologiques et religieux. Dans un tel cadre, toutes les préférences doivent être également ouvertes à la discussion et à la critique : la séparation des personnes et de leur préférence est donc la condition de possibilité de la liberté d’expression. “

Une réflexion sur « SOS Bescherelle ! »

Laisser un commentaire