Allez !!!!

En attente de vos articles… qui arrivent au compte-gouttes alors que vous êtes actuellement 3 classes à travailler sur ce blog ! argh 🙁

Je mets dans la journée les conseils de réécriture pour les deux beaux articles qui ont été postés ces derniers jours, art et perfectionnisme.

En attendant que les autres se réveillent des fiestas de fin d’année, je vous recommande la lecture du blog de François Bechu, acteur intervenant qui va travailler sur le projet de Fontevraud avec les 2nde pro PA. Il écrit autour des mots, en montant une nouvelle création théâtrale à Laval. Voici le post du jour :

02 janvier 2015

Lancer des bouées

     Nous discutions ce midi de l’expression “A gorge déployée”, cette tempête de joie qui sort de nous, ce pont de belles paillettes qui se jette et s’éclate… La tempête encore, si proche pour moi du mot “création”, je l’ai déjà dit…

     Avant Peter Brook, la première tempête théâtrale dans laquelle je fus emporté était signée Jean-Louis Barrault*. J’avais pris ce soir-là -de mai je crois- et pour la première fois, l’annexe pour quitter le port parental et accoster près du Chapiteau des Tréteaux de France, grand bateau pour mes petits yeux… Seul sur mon banc me voilà, ramant sans rames au milieu de cette ambiance, de ce …”spectacle”, un mot que je n’affirmais pas à l’époque.

     En fait j’étais parti de chez moi pour aller dans la nuit et ses mystères plutôt qu’au théâtre puisque je ne savais pas bien ce que c’était… C’est l’aventure qui faisait noeud. Je me suis livré à l’ouvrage en me demandant bien ce qu’était cette “annonce ” et cette “Marie” dont il était question dans le titre d’un certain Claudel: “L’annonce faite à Marie” ?…

     Du monde dans les travées, une foule et des lampions comme dans le château de Guermantes de Proust que je fréquentais à l’époque., page après page.. Des trapèzes et des guindes et des costumes… Mais pourquoi étais-je en autre monde, seul, installé pas très loin de chez moi sur le banc d’un chapiteau ? Sans doute, le prof de français avait-il lancé à la fin d’un cours cette bouée à qui voulait l’attraper: “Il y a du théâtre ce soir… Je vous incite… C’est important… Nous reparlerons de…”

     Je ne connaissais rien de ce jeu de dialogues autrement que dans mes livres scolaires et que dans les “Petits Larousse” : Du texte, du texte, du texte…dont il fallait d’ailleurs parfois s’ingurgiter des morceaux non choisis et la plupart du temps incompréhensibles… Un monde entre le livre et ce Chapiteau posé dans ma ville et atteint grâce à cette bouée, qu’il avait lancé le prof, et qu’il m’avait plu d’attraper… Souvenir de ces tours de manèges et de la queue du Mickey que je ne visais plus  que depuis quelques années seulement

     Oui, ça faisait beaucoup de choses à voir et à entendre ce soir-là, et pourtant à peine entré dans “le théâtre” j’avais dû penser avec inquiétude au retour; dans quel piège allais-je me fourrer ? Personne de connaissance, pas un pote de ma classe… Suis-je normal ? Mais les acteurs, tout de suite, en complices: moi et les acteurs, moi et le Chapiteau qui vibrait de toutes ses coutures, aux sons et aux sauts des voix… Une tempête, ni plus ni moins…. Et le bateau dans la tête et dans le corps qui avance, qui dépasse des caps inconnus, qui retourne le sang de cette étrange mer qui est en nous et qui là, à ce moment, était haute comme jamais. 

     Je n’ai retenu aucun mot de la soirée, ou alors si peu qu’ils ont dû s’évaporer très vite, mais j’ai retenu à tout jamais deux choses: Tout d’abord cet acteur sautillant, si jeune, au coeur des scènes dans sa parure de conquérant absorbée par la sueur au fil des actes; la voix sautillante dans le nez de cet acteur que les autres acteurs portaient comme il les portait lui-même tous… Il ne se démarquait pas tant – le spectacle n’était pas fait autour de lui – mais il accrochait l’oeil et l’esprit ! Au terme du voyage, descendu de ses trapèzes, il brillait de sueur, c’est sûr, mais d’autres choses brillaient en lui et que j’ai pu comprendre ensuite en jouant moi-même…

     L’image que je garde surtout c’est celle du salut final. Il est venu saluer avec ses camarades, Jean-Louis Barrault : en quelques secondes il avait vieilli de vingt ans, et j’ai eu bien du mal à le reconnaître, à reconnnaître celui qui venait de m’éblouir ! Je ne me suis pas dit alors que ce qu’il venait de faire correspondait à une performance physique et mentale digne d’un acteur faisant un métier, mais j’ai aimé penser qu’en faisant comme il faisait, on pouvait devenir… J’ai aimé penser qu’on n’était pas obligé de rester soi, en soi… Qu’on pouvait être un autre, un autre “vrai” avec les autres… et que cela se faisait par une sorte de magie ou de correspondance bouleversante: un tapis parmi les étoiles !

     Et la seconde chose marquante pour moi à tout jamais, c’est l’illusion d’un partage infini avec tous les spectateurs de la séance… Ai-je applaudi, seulement ? Sans doute… Mais le plus important, le plus troublant a été cette sensation en retournant chez moi de tirer un fil, une guinde du Chapiteau pour l’élargir, le planter le plus loin possible… Et j’avais réussi à me convaincre que les autres spectateurs, mes amis, là où ils allaient en faisaient autant ! 

     Aujourd’hui je n’ai rien oublié, ni de mon chemin, ni du Chapiteau, ni de Jean-Louis Barrault, ni de cette bouée jetée par mon prof de français en fin de cours, ni de ce fil qui dans ma voix tend le théâtre, l’élargit sans cesse… comme on rit à gorge déployée.

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